La Gazette de GREENWOOD
n°37 (Novembre 2001)

Notre Supplément détachable:

Muddy Waters : The Complete Plantation Recordings

Les enregistrements de terrain réalisés en 1941 et 1942 par Alan Lomax
à la Plantation Stovall (Clarksdale, Mississippi) pour la Bibliothèque du Congrès

de : Pierrot Mercier <mississippi@wanadoo.fr>
Alan Lomax a 17 ans

Quand le comité des BottleNets (http://www.bottlenet.org) a décidé de baptiser le prix "Révélation de l'année" du nom d'Alan Lomax et quand, ô joie, celui-ci a accepté, j'ai entrepris de réunir un peu de documentation afin d'établir la notice explicative pour ce trophée.

La carrière de ce musicologue/ethnologue est riche de découvertes. Un des plus connues reste celle de Muddy Waters en 1941. Il m'a semblé intéressant de faire profiter les lecteurs de la Gazette de ces quelques trouvailles.

Le point de départ est le texte qui suit, traduit et adapté du livret rédigé par Mary Katherin Aldrin lors de la réédition par Chess de ces enregistrements historiques.

Patrice Champarou<pmchamp@club-internet.fr> a enrichi de façon décisive ce travail en déchiffrant, transcrivant et traduisant les 4 interviews figurant sur le CD.


F.D.Roosevelt sur une vignette des années 40 - à noter : la 'cabin'

En juillet 1941, alors qu’Alan Lomax, préparant une tournée de collecte dans le Delta pour le compte de la Bibliothèque du Congrès, se démène pour installer un enregistreur portable de 130 kilos dans le coffre de sa voiture, le reste du monde se débat avec des problèmes d’un autre ordre.

Franklin Delano Roosevelt commence un troisième mandat et prononce son fameux discours sur les " Quatre Libertés " [discours sur l’état de l’Union, 6/1/1941].

L’Allemagne déclare la guerre à l’URSS. En décembre de la même année le haut commandement japonais ordonnera l’attaque de Pearl-Harbour qui amènera l’entrée en guerre des États-Unis et l’embrasement presque général de la Planète.

A cette époque, le monde musical célèbre surtout le Jazz, le Jazz et encore le Jazz.

Les critiques de Downbeat distinguent Benny Goodman et Glenn Miller, Art Tatum est en tête d’affiche au café Society de New York, et le Hut-Sut Song, dont Time Magazine voit l’origine chez " un aveugle noir du Missouri qui le chantait à l’arrivée des bateaux vers 1914 ", grimpe dans les charts.

Le jeune prodige Lorin Maazel fait ses débuts à la tête de l’orchestre symphonique de la NBC.

Les Andrew Sisters ont déjà vendu 8 millions de disques pour Decca ; la mort vient prendre le légendaire pianiste Jan Paderewski dans sa 80ème année alors que le superbe saxophoniste Chu Berry la trouve dans un accident de la route, risque courant chez les musiciens itinérants.

Quels blues en 1941 ?


Hormis les morceaux de Muddy enregistrés par Alan Lomax comme ceux de Son House quelque temps après, voici quelques titres produits cette même année:
Memphis Minnie : Me & My Chauffeur
Rosetta Tharpe : Trouble In Mind
Big Bill Broonzy : I Feel So Good
Memphis Slim : Whiskey and Gin Blues
Champion Jack Dupree : That's All Right
Brownie Mc Ghee : Death of Blind Boy Fuller
Suivez la Route du Blues de Jocelyn Richez

Pendant que se déroulent ces événements, le Delta du Mississippi fume doucement sous le soleil de cette fin d’été.

Un jeune noir du nom de McKinley Morganfield travaille à la plantation Stovall. Conducteur de tracteur le jour, il joue de la guitare avec un petit groupe à cordes, attendant patiemment la chance dont il sait qu’elle va venir.

Et Alan Lomax, en grimaçant, arrive à hisser le peu maniable enregistreur dans son coffre, se met au volant et part en direction du Sud.

La Bibliothèque du Congrès avait commencé dès 1933 la collecte méthodique, par des enregistrements sur le terrain, des formes traditionnelles de la musique américaine.

Des folkloristes et des collectionneurs comme l’équipe père-et-fils de John et Alan Lomax, John Work, Zora Neale Huirston, Harold Courlander ou Elisabeth Barnicle explorèrent la campagne et la musique américaine bénéficia amplement de leurs incursions dans le Sud.

Ils installèrent et démontèrent des centaines de fois leur équipement en Alabama, en Floride, en Louisiane, au Mississippi et au Texas, dans les marchés au bord des routes, sous les porches des églises, dans les camps de travail rattachés aux prisons et aux pénitenciers. Une des plus belles découvertes des Lomax fut d’ailleurs le détenu Huddie "Leadbelly " Leadbetter qu’ils enregistrèrent alors qu’il purgeait une peine pour meurtre au pénitencier d‘Angola.

Ignorant les grandes routes, ils battaient la campagne, empruntant les chemins détournés et visitant les bouges, accumulant les découvertes de valeur tout au long de leur route, pour documenter la musique populaire américaine plus complètement que jamais, en un effort jamais renouvelé depuis.

Alan Lomax se souvient : " A cette époque je mettais en forme la première publication de musique populaire par la Bibliothèque du Congrès. Ceci représentait le travail de mon père et de moi-même, une enquête sur tout le territoire à la fin des années trente. Pour la première fois un gouvernement allait publier officiellement les enregistrements in-situ de ses musiciens et chanteurs populaires. L’ensemble comprenait aussi bien des musiques cajuns, mexicaines, amérindiennes, appalachiennes que des chants de marin, - en fait : tout. C’était pour la première fois le portrait en vraie grandeur de la musique de tout un peuple, chose qui n’avait jamais été faite à cette échelle. Véritablement, une étape décisive. "

Les enregistrements de Muddy Waters qu’on peut entendre sur cet album proviennent d’une campagne de collecte co-produite par la Bibliothèque du Congrès et l’Université Fisk, représentée par John Work. On entend d’ailleurs ce dernier mener certains des entretiens.

Les chansons enregistrées lors des campagnes des étés 1941 et 1942 ne furent pas toutes publiées à l’époque comme Alan Lomax nous l’indique : " J’étais responsable d’une série de cinq albums. Mon opinion sur Muddy était si bonne que j’ai sélectionné deux de ces chansons. Je crois bien que c’était le seul dans ce cas - en fait je n’arrivais pas à décider lequel de ces deux blues était le meilleur, alors nous avons mis les deux. "

Muddy Waters est né McKinley Morganfield à Rolling Fork, Mississippi, le 4 avril 1915. Ses parents, Ollie Morganfield et Berta Jones, étaient de pauvres métayers qui devaient élever douze enfants. Muddy fut envoyé vivre chez sa grand-mère maternelle, Della Jones, alors qu’il n’était qu’un tout petit bébé. Il avait trois ans quand sa mère mourut et sa grand-mère l’emmena vers le nord, pour vivre à la plantation Stovall.

Il grandit là, dans le plat pays du coton ; il reçut une instruction très rudimentaire, en partie parce qu’il était noir et pauvre et en partie en raison des besoins saisonniers en main d’œuvre pour la culture du coton." Je suis allé un peu à l’école, disons les deux ou trois premières années " raconte-t-il à l’écrivain Robert Palmer "et ce que j’y apprenais, je n’en faisais pas grand chose. "

Il travailla comme métayer dans la plantation appartenant à la famille d’Howard Stovall, débutant comme ouvrier dans les champs, il se vit assigner d’autres taches, jusqu’à être conducteur de camion ou de tracteur.

Muddy parle au chroniqueur Jim Rooney de ce passé : " Je cueillais le coton, je castrais le maïs, je trayais les vaches, ha ha, je conduisais des tracteurs, tout le bazar ; ben oui j’étais un fermier. Il ne se passait pas grand chose dans les années trente dans ce pays – il ne se passait même RIEN si vous voulez savoir – mais j’étais là, c’est comme ça que je vivais. Savoir pourquoi..."

Muddy avait participé à des groupes musicaux depuis sa plus tendre enfance et appris la guitare adolescent. Il citait Son House comme sa première influence musicale, dans cette interview parue dans Downbeat en 1969 :" Un soir nous sommes allés à une de ces fêtes du samedi où on mange du poisson grillé et Son House jouait là. Quand je l’ai entendu j’en aurais brisé mon bottleneck... Il est resté dans cet endroit [Clarksdale] pendant 4 semaines de rang et j’étais là tous les soirs. On ne pouvait pas me faire bouger de mon coin. J’étais là à l’écouter, [à regarder] ce qu’il faisait... C’est Son House qui m’a poussé à jouer, j’étais derrière lui tout le temps."

Son House par Denis Gérablie

"La première guitare que j’ai eue m’a coûté deux dollars et cinquante cents. J’ai économisé la petite monnaie jusqu’à ce que j’aie ces deux dollars et cinquante cents et je l’ai achetée à un jeune gars nommé Ed Moore... La première fois que j’ai joué avec dans une boite je me suis fait cinquante cents et le gars qui tenait l’endroit m’a filé jusqu’à deux dollars cinquante la nuit et j’ai su que j’étais dans le coup. Après j’en ai eu une de chez Sears Roebuck qui coûtait onze dollars. J’avais un bel étui avec... "

Alan Lomax se rappelle : " Muddy était vraiment un pauvre paysan noir quand je l’ai rencontré. De fait, il est arrivé à la première séance sans chaussures, aussi ai-je enlevé les miennes.
Il n’avait pas de guitare à ce moment, en tout cas il n’en avait pas apporté, alors il a utilisé ma Martin pour les enregistrements. Il appréciait vraiment de jouer dessus. Nous étions tous impressionnés par lui ; je veux dire que nous n’avions aucun doute sur le fait que c’était un chanteur de blues avec beaucoup de sentiment, une tenue et une maîtrise et quelque chose de très profond et de très spécial à dire. J’en ai parlé à Son House et Son m’a dit grand bien de Muddy. Bien sur, je connais l’œuvre de Robert Johnson, j’ai étudié tous ses enregistrements commerciaux, mais, clairement, Muddy est une figure majeure du Blues, qui a amené le Blues à un autre niveau : le meilleur du Blues mais aussi une influence majeure sur les meilleurs musiques populaires. "

[Muddy aussi se souvient] " Alan Lomax m’a découvert. Il était un jeune homme alors. Il est a bien réussi depuis ! En fait, celui qu’il cherchait c’était Robert Johnson, mais Robert avait été tué. Alors quelqu’un m’a signalé à lui et il est venu et il m’a trouvé. Et il m’a enregistré juste devant ma maison avec mon petit groupe. Il y avait une mandoline et un violon. C’était un sacré groupe. J’étais le plus jeune du lot mais je savais chanter, vous savez ! J’étais encore un gamin et tous les autres étaient plus âgés. "

- La mémoire de Muddy lui fait défaut ici : il n’était plus un "gamin " quand Lomax et Work l’ont enregistré en 1941 car il était né en 1915. On entend d’ailleurs Muddy dans un des entretiens dire qu’il est employé à la plantation Stovall depuis 17 ans (c’est à dire depuis ses 9 ans) ; en fait, il avait vingt-six ans lors de la première séance d’enregistrement en 1941, vingt-sept quand Alan Lomax a fait son second voyage dans le Delta pour enregistrer le reste des pistes. L’année suivante, à l’âge de vingt-huit ans, Muddy partit pour Chicago.

Muddy pose fièrement avec son premier disque

Des années plus tard Muddy parle au chercheur Paul Oliver de ses réactions lors de la première écoute des enregistrements de la Bibliothèque du Congrès :

" Je me suis vraiment entendu pour la première fois. Je n’avais jamais entendu ma voix. J’avais l’habitude de chanter comme je le sentais, parce que c’est comme ça qu’on a toujours chanté dans le Mississippi. Mais quand Monsieur Lomax a fait tourner le disque, j’ai pensé : pour sur, ce garçon sait chanter le Blues… Et j’ai été surpris car je ne savais pas que je chantais comme ça. "

Alan Lomax confirme : " Je pense que cela l’a fait sentir plus sur de lui, ce qui fait que, plus tard, quand il est arrivé à Chicago, il ne doutait pas d’être aussi bon que les autres alentour."

Mais en 1941, bien qu’il porte le surnom de Muddy Waters depuis son enfance, il n’avait pas encore assez confiance en lui pour se présenter sous ce nom, surtout pour quelque chose d’aussi important que ce premier enregistrement. Le 78t de la Bibliothèque est donc crédité à McKinley Morganfield.

Les entretiens intercalés lors des séances d’enregistrement sur le terrain étaient une pratique courante à cette époque, une façon de documenter un peu plus le chanteur et les morceaux enregistrés. Si quelques-unes des questions posées par Alan Lomax et John Work nous paraissent un peu ineptes aujourd’hui, il est important de se rappeler qu’en 1941 on ne connaissait pratiquement rien du Blues du Delta et de ses interprètes. Aucun livre n’avait encore été écrit sur le sujet, aucun magazine ne publiait des articles de fond [ndlr : il n'y avait même pas de Gazette de Greenwood !-].
En fait, ces entretiens étaient précisément la seule source de connaissance, sur laquelle d’ailleurs bien des recherches seront basées plus tard. Partant de ce constat, Lomax pose parfois des questions très simples (et dont il connaît déjà les réponses) mais ceci est une façon d’obtenir plus de détails, un moyen de faire raconter par les musiciens leur propre histoire avec leurs propres mots.

Avertissement :

La faible qualité technique de ces enregistrements, la dégradation du support et les coupures effectuées lors de leur réédition n'ont pas permis de les transcrire intégralement. Certains passages indistincts ont donc été omis, et quelques segments très endommagés ont fait l'objet d'une reconstitution aussi vraisemblable que possible en fonction du contexte.

Country Blues


by McKinley Morganfield a.k.a. Muddy Waters
recording of August 24-31, 1941, Stovall Plantation, Mississippi
from The Complete Plantation Recordings (Chess/MCA CHD-9344)

Real Audio
I get later on in the evenin' time, I feel like, like blowin' my horn
I woke up this mo'nin, find my, my little baby gone, hmm
Later on in the evenin', main man, I feel like, like blowin' my horn
Well I, woke up this mo'nin' baby, find my little baby gone

A well now, some folks say they worry, worry blues ain't bad
That's a misery feelin' child, I most, most ever had
Some folks tell me, man I did worry, the blues ain't bad
Well that's a misery ole feelin', honey now, well gal, I most ever had

Well, brooks run into the ocean, ocean run in, into the sea
If I don't find my baby somebody gonna, gonna bury me, um-hm
Brook run into the ocean, child, ocean run into the sea
Well, if I don't find my baby now, well gal, you gonna have to bury me

Yes, minutes seem like hours an hours seem like days
Seems like my baby would stop her, her lowdown ways, hey
Minutes seem like hours child, an hours seem like days
Yes, seem like my woman now, well gal, she might stop her lowdown ways

Well now I'm, I'm leavin' this mo'nin' if I had-a, whoa ride the blind
I feel mistreated girl you know now, I don't mind dyin'
Leavin' this mo'nin, tell ya I had-a now ride the blind
Yeah, been mistreated baby now, baby an I don't mind dyin'

http://blueslyrics.tripod.com/

Interview #1 ( suivant Country Blues )

- Pourriez-vous me dire, Muddy Waters, si vous vous en souvenez, à quel moment vous avez écrit ce blues ?

- J'ai écrit ce blues en 38

- Quelle époque de l'année ?

- C'était vers le 8 octobre, en 1938.

- Vous vous rappelez où vous étiez lorsque vous avez créé cette chanson ? Je veux dire, à quel endroit vous vous trouviez et à quoi vous pensiez ?

- Je réparais un pneu ! Je venais d'avoir des ennuis à cause d'une fille, tout ça m'est venu à l'esprit et j'ai commencé à chanter.

- Dites m'en davantage, si ce n'est pas trop personnel. J'aimerais connaître les faits, comment vous les ressentiez et pourquoi vous les avez ressentis ainsi, c'est une chanson remarquable...

- Oh, j'avais la déprime, c'est tout, la chanson m'est venue à l'esprit immédiatement, telle quelle, j'ai commencé à chanter et j'ai continué...

- Et vous savez si cette mélodie... est aussi la mélodie d'un autre blues que vous connaissez ?

- Oh, oui, il y a quelques blues qu'on joue comme celui-là..

- Vous connaissez un autre blues sur cette même mélodie ?

- Eh bien, cette chanson vient des champs de coton, mais le gars qui l'a sortie sur disque c'était Robert Johnson. Il l'a sortie sous le titre de Walking Blues.

- Quel titre ?

- Walking Blues, c'est comme ça qu'il l'a appelée.

- Mais vous connaissiez cet air avant de l'entendre sur disque ?

- Oui, Monsieur ! Je le connaissais avant de l'entendre sur disque...

- Comment l'avez-vous appris ?

- C'est Son House qui me l'a appris.

- Son House ? Qui est-ce ?

- C'est un gars qui joue de la guitare depuis... oh, je ne sais pas quel âge !

- Et quel âge a Son House à présent ?

- Je pourrais être son fils, il doit avoir une bonne quarantaine...

- Johnson lui-même, vous l'avez connu ?

- Robert Johnson, non. Je ne l'ai pas connu personnellement.

- Est-ce que House joue mieux que Johnson, à votre avis ?

- Je pense qu'ils se valent tous les deux.

- Et, euh... comment vous est venue l'idée de jouer de la guitare, pourquoi avez-vous décidé de...

- J'adorais cette musique, j'ai vu Son Sims jouer... je me suis dit que je voulais faire ça, et j'ai suivi son exemple.

- Et combien de temps avez-vous travaillé ? Combien d'heures par jour, quand vous avez commencé l'instrument ?

- Une heure et demie à deux heures par jour.

- Tous les jours ?

- Tous les jours...

- Vous vous rappelez le premier morceau que vous avez essayé d'apprendre ?

- Le tout premier, c'était How Long Blues, Leroy Carr.

- Vous l'avez appris par le disque, ou en regardant jouer ?

- Par le disque.

- Comment avez-vous fait, comment avez-vous appris cette chanson ?

- Oh, on l'entendait, on la trouvait sur disque, c'est Leroy Carr qui l'avait sortie à l'époque...

- Vous vous installiez devant le phono pour jouer en même temps, en essayant de...

- Non, j'avais la chanson dans l'oreille, et je me suis débrouillé avec ça pour essayer de la jouer.

- Mais comment avez-vous appris à jouer avec cette bouteille ?

- Ça, je l'ai pris à Son House.

- Comment appelez-vous ça ?

- C'est un goulot de bouteille, j'appele cela un "slide"

- Un slide ?

- Oui.

- Et vous le portez à l'auriculaire...

- Oui...

- Comment avez-vous adopté cet accord de guitare, comment s'appelle-t-il ?

- Spanish ( Muddy égrène : Ré Sol Ré Sol Si Ré )

- Vous connaissez d'autres manière d'accorder la guitare ?

- Je connais l'accord standard.

- Et vous en avez un autre ?

- Oui.

- Coment l'appelez-vous ?

- Simplement Mi ouvert

- Mi ouvert.. vous avez autre chose pour Mi ouvert ?

- Une autre chanson ?

- Non, je veux dire un autre nom que Mi ouvert.

- On appelle ça "cross notes".

- Bien. Pourriez-vous jouer l'autre blues, celui que j'ai entendu l'autre fois, rapide, mais dans la même tonalité.

- Oui.

- Je vous avertirai lorsque je serai prêt.

I Be's Troubled


by McKinley Morganfield a.k.a. Muddy Waters
recording of August 24-31, 1941, Stovall Plantation, Mississippi
from The Complete Plantation Recordings (Chess/MCA CHD-9344)

Real Audio
Well if I feel tomorrow, like I feel today
I'm gonna pack my suitcase, and make my getaway
Lord I'm troubled, I'm all worried in mind
And I'm never bein' satisfied, and I just can't keep from cryin'

Yeah, I know my little ol' baby, she gonna jump and shout
That ol' train be late girl, and I come walkin' out
Lord I'm troubled, I'm all worried in mind
Yeah and I'm never bein' satisfied, and I just can't keep from cryin'

Yeah, I know somebody, who' been talkin' to you
I don't need no telling, girl, I can watch the way you do
And I be troubled, I be all worried in mind
Yeah and I'm never bein' satisfied, and I just can't keep from cryin'

Yeah, now goodbye baby Got no more to say
Just like I been tellin' you, girl, you're gonna have to leave my way
Lord I'm troubled, I'm all worried in mind
Yeah and I'm never bein' satisfied, and I just can't keep from cryin'

Yeah my baby she quit me, seem like mama was dead
I got real worried gal, and she drove it to my head
I be's troubled, I be all worried in mind
Yeah and I'm never bein' satisfied, and I just can't keep from cryin'

http://blueslyrics.tripod.com/

Interview #2 ( suivant I Be's Troubled )

- Comment avez-vous composé ce morceau ? Quand l'avez-vous entendu pour la première fois ?

- Celui-là, je l'ai écrit tout seul. Cette chanson, c'est moi qui l'ai faite.

- Comment est-ce arrivé ? Racontez-moi...

- Oh, j'étais sur la route quand j'ai entendu un petit chant d'église, un truc en mineur, ma petite chanson est venue de là, ça a été le point de départ...

- Et ça vous arrive souvent, de composer des couplets ou autres comme ça, sans y réfléchir ?

- Oh oui, j'écris des couplets.

- Et comment est-ce que vous trouvez la musique, le mélodie qui convient ?

- Quand mes paroles sont au point, je prends la guitare et j'essaie deux ou trois airs différents pour voir celui qui colle le mieux, ce qu'il vaut mieux jouer sur la chanson...

- On entend beaucoup de vieux blues dans la région ?

- Oui, Monsieur ! Pas tellement ici même, mais...

- Et les gens aiment ça ?

- Ici, ils adorent !

- Vous préférez cela à toute autre forme de chant ?

- Oui, Monsieur.

- Combien de blues placez-vous dans votre répertoire de danse ?

- Vous voulez dire, combien j'ai écrit de titres pour danser ?

- Non, combien de blues jouez-vous à côté des autres chants destinés à la danse ?

- ( la moitié ? inaudible, syllabes coupées )

- Vous aimez les jouer plus que toute autre musique, mais quels autres styles aimez-vous jouer ?

- Moi, j'aime jouer le blues...

- Combien de chansons connaissez-vous en dehors du blues ?

- Vous voulez dire, que je joue moi ?

- Oui, quoi d'autre à part le blues ?

- On joue des chansons sentimentales...

- Et le breakdown ?

- Ah oui, on joue le breakdown...

Burr Clover Farm Blues


by McKinley Morganfield a.k.a. Muddy Waters
recording of August 24-31, 1941, Stovall Plantation, Mississippi
from The Complete Plantation Recordings (Chess/MCA CHD-9344)

Real Audio
Well now, I told my man, way up in Dundee
Lord, I told my man, way up in Dundee
Well now, you go down to Mr. Howard Stovall's place, he got all the Burr Clover you need

Well now, the reason I love, that old Burr Clover Farm, so well
Yeah now .the reason I love, that old Burr Clover Farm, so well
Well now, we always have money and we never raise no hell

Well now I'm leavin' this mo'nin', sho do hate to go, yeah babe
Lord, I'm leavin' this mo'nin' , an I sho' do hate to go
Well now, I've got to leave that Burr Clover Farm, I ain't comin' back here no mo'

Now goodbye ev'rybody, an I may not come back down
I said goodbye ev'rybody, an I may not come back down
Well now I gotta leave that Burr Clover Farm, my baby don't want me around

Well so long, so long, you gonna need my help, I say
So long, so long, you gonna need my help, I say
Well now I'm gonna sell ya some Burr Clover honey, just before I go away

http://blueslyrics.tripod.com/

Interview #3 ( suivant Burr Clover Farm Blues )

( Présentation de Son Simms, originaire de Clarksdale, et de Muddy Waters )

- Je mappelle McKinley Morganfield, et mon surnom c'est Muddy Waters, le célèbre guitariste de Stovall.

- Qui a composé Burr Clover Blues ?

- Muddy Waters !

- Vous l'avez écrit seul ?

- Tout seul, enfin avec Son Simms.

- Comment arrivez-vous à... aligner les couplets, à les enchaîner ?

- Eh bien on part sur un couplet, l'autre travaille le suivant, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on ait toute la chanson entière...

- C'est cette ferme qui s'appelle Burr Clover, ou... d'où vient ce nom ?

- En fait, c'est nous qui l'avons appelée Burr Clover Farm... Mr Stovall, il a semé la luzerne que vous voyez là-bas, c'est pour ça qu'on l'a appelée la ferme de la luzerne ! Comme ce blues...

- Depuis combien de temps habitez-vous ici ?

- 17 ans

- Vous travaillez toujours au même endroit ?

- Toujours.

- Mr Stovall, c'est le propriétaire de la ferme ?

- Oui...

Interview #4 ( suivant Burr Clover Blues )

- J'ai composé ça ici même, à Stovall, en 40.

- ( question inaudible )

- Oui, en fait c'est le patron qui est l'auteur ! Mr Howard Stovall, il cultive de la luzerne dans cette ferme, c'est à cause de lui qu'on a enregistré, je veux dire écrit une chanson à ce sujet... Parce qu'il fait de la luzerne, vous voyez, là-bas... ? Bon rendement pour le fourrage, vous saisissez ?

Les fans de longue date de Muddy reconnaîtront ces chansons comme des versions ‘primitives’ de celles qu’il enregistrera plus tard pour Chess ou Columbia.

Country Blues fut enregistré à l’origine sous le titre Walking Blues par Son House (et plus tard par Robert Johnson) ; Muddy, qui l’avait appris de Son House en personne, l’enregistrera plus tard chez Aristocrat avec des paroles assez différentes sous le titre Feel Like Goin’Home.

De même, la chanson appelée ici I’Be’s Troubled se retrouvera en face B du même 78t Aristocrat sous le titre I Can’t Be Satisfied.

Quelques décennies après ces enregistrements historiques, lors d’un atelier Blues au Newport Folk Festival de 1968, Muddy dit à l’assistance :" Je me prépare pour vous jouer quelques morceaux parce que le vieux bonhomme n’est pas là ; il n’est jamais venu ici encore, Son House, et il était l’idole de ma jeunesse, c’est ça Son House. Alors je vais essayer de vous en faire un comme le vieux ferait s’il était là, mais ça fait si longtemps que je ne l’ai pas joué, enfin je vais essayer... " avant de se lancer dans une version à couper le souffle du Walking Blues de Son House. A la fin de la chanson il sourit et demanda : " Est-ce que je me rapproche un peu du vieil homme, là ? "

L’écrivain et universitaire anglais John Cowley indique les ressemblances et les différences entre l’enregistrement de Walking Blues par Son House et son adaptation par Muddy en Country Blues dans un essai intitulé " Really the Walking Blues : Son House, Muddy Waters, Robert Johnson and the Development of a Traditional Blues "
Alors que beaucoup voient la musique de Muddy comme une extension de celle de Robert Johnson, Cowley fait justement remarquer que Johnson et Waters furent également influencés par Son House mais à des époques différentes.

Mais ne vous abimez pas les oreilles à essayer de découvrir ici les racines du futur blues chicagoan de Muddy. Il ne s’agit pas de cela. Bien avant qu’il ait même rêvé de Chicago, avant qu’il ait seulement l’électricité dans sa maison et quelque chose à brancher dessus, il faisait là le blues élémentaire et profond, la musique dansante des juke-joints de sa campagne natale, le Delta du Mississippi.

Dans ces enregistrements essentiels, fait avec cette encombrante machine sous le porche d’une humble maison, dans la chaleur des après-midi du Sud, le jeune Muddy Waters faisait les premiers pas vers le développement de cette musique qui allait changer le cours du Blues, du Rock’n’Roll et d’autres musiques encore pour des décennies.

Mary Katherine Aldin, 1991.

[Mary Katherine Aldin est chroniqueuse musicale à la radio et dans des publications spécialisées. On lui doit un chapitre important sur le Blues moderne dans Nothing But the Blues publié par Lawrence Cohn. Elle a participé à certain nombre de compilations, particulièrement les rééditions Muddy Waters chez Chess.]

première édition édition courante en digipack CHESS MCD 09344


Retour La Gazette de Greenwood