Le blues dans tous ses états
EDITO Comme vous le savez, Travel in Blues n'est plus. Le n° 42 d'avril 2001 fut le dernier à voir le jour. Pourtant, certains articles, interview, et chroniques ont été écrits pour un numéro qui ne devait jamais paraître. Un an juste après, La Gazette de Greenwood, arrivée elle aussi au numéro 43, veut rendre hommage à toute l'équipe de Travel et rappeler le formidable travail qu'elle a accompli pendant 5 ans. L'aventure continuera sous d'autres formes. La Gazette de Greenwood espère y contribuer en publiant aujourd'hui ces textes de René Malines et Philippe Sauret accompagnés par les photos de Guy Benech. |
Portrait
Accompagné de 4 cuivres et d'une rythmique à faire pâmer les plus exigeants, Philip Walker est venu illuminer la scène du Jazz Club Lionel Hampton de son blues flamboyant les 2 premières semaines de mai. Nous n'avons pu résister à la furieuse envie de rencontrer ce pimpant sexagénaire dont le CV est un véritable Who's who du blues...et plus encore ! Retour sur une carrière impressionnante.
C
e 11 février 1937, une famille de fermiers de Welsh, en Louisiane, se voit augmentée d'un 7ème enfant. Papa et Maman Walker s'étant mariés très jeunes -respectivement 14 et 13 ans ! " Des enfants eux-mêmes ", dira Phillip - ils auront tout le temps d'en faire 12 en tout. Il faut dire que Maman Viola a de qui tenir, elle est la fille d'une amérindienne 100% Cherokee. Un peuple plutôt costaud. Le petit Phillip deviendra d'ailleurs un grand gaillard lui-même bien avant l'âge, ce qui, plus tard, lui sera bien utile. En attendant, ça le condamnerait plutôt aux travaux les plus durs de cette vie campagnarde dès l'âge de 12 ans, après que la ''petite'' famille se soit installée à Port Arthur, au Texas. La musique faisant partie intégrante de la vie familiale, c'est très tôt que le jeune Phillip s'y adonne après s'être confectionné l'habituelle guitare de fortune dans une non moins traditionnelle boîte de cigares. A peine âgé de 15 ans, il commence à boeuffer avec les bluesmen dans les clubs, et c'est tout naturellement qu'il enregistre aux côtés de Roscoe Gordon 2 ans plus tard. C'est le début d'une longue carrière qu'il poursuit encore aujourd'hui, à 64 ans, après avoir côtoyé les plus illustres artistes de blues sur plusieurs décennies, tant lors de revues que de séances d'enregistrements et autres tournées.La fidélité étant l'un des traits de l'excellent caractère du monsieur, c'est justement ses amitiés vieilles de près d'un demi-siècle qui seront à l'origine de l'excellent album Lone Star Shootout paru chez Alligator, enregistré avec Lonnie Brooks et Long John Hunter. Et comme un fil d'Ariane déroulé sur ces 5 décennies, c'est la même logique qui pousse les 3 gaillards à tourner encore, puisqu'ils seront encore en Europe cet été.
En attendant ce retour, c'est dans une ambiance très décontractée, et pour tout dire de franche rigolade, que Phillip Walker reçoit vos serviteurs dans sa chambre d'hôtel. Morceaux choisis.
Lone Star Shootout…
- Ce n'était qu'une réunion de copains, rien d'autre. On a tous suivi nos propres chemins pendant longtemps, mais on est tous du même coin, Port Arthur. Lonnie Brooks, qui se faisait appeler Guitar Jr, est parti pour Chicago, moi je jouais avec Clifton Chenier, Long John Hunter est parti jouer le blues au Mexique, ce qui est plutôt rare. Je l'ai rejoint à El Paso vers le milieu des années 50, après avoir quitté le groupe de Clifton. On a joué ensemble au festival d'Utrecht il y a 3 ou 4 ans et je me suis dit qu'il faudrait qu'on enregistre. Pourquoi pas ? Voilà 3 gaillards toujours en vie et même plutôt bons, du même coin, alors pourquoi ne pas faire un disque ensemble ? Et ça s'est tellement bien passé ! Beaucoup avaient des doutes, mais j'étais sûr de moi, c'était obligé de marcher.
- On revient en France très bientôt, en Juillet. On s'éclate bien ensemble, on se connaît depuis si longtemps. On s'est beaucoup amusé à faire cet album. On se connaît si bien, on est un peu comme les 3 Stooges du blues !
- Au départ on était 5, avec Lonesome Sundown et Ervin Charles. On était un peu comme Louis Jordan et ses Timpany Five. Comme j'étais le plus jeune, je les traitait de vieux. On s'amusait bien.
- Ervin Charles n'a jamais voyagé comme les 4 autres. Il n'a jamais quitté la région de Beaumont, Port Arthur. Il n'avait jamais fait de disque. A une époque, j'étais trop jeune pour en faire partie, mais ils jouaient tous les 4 dans le même groupe. C'était quelque chose ! Tous les clubs étaient dans le même quartier, alors ils jouaient ici, puis là, et moi je regardais par la fenêtre en faisant mes fausses moustaches pour aller les voir. Ce devait être en 52, 53.
- On a chacun 2 carrières maintenant Et ça fonctionne. Bon, il a fallu amener nos agents respectifs à mettre un frein à leurs petits jeux, mais ça marche. Quand on se retrouve tous les 3 sans tournée pour un temps, c'est le moment de monter une tournée Lone Star Shootout. Et ça fait beaucoup pour nos carrières respectives.
- Bruce Iglauer est un malin, mais c'est aussi un type bien. Au début, ça a été un peu dur de lui vendre l'idée, mais c'est un bon businessman. Avec des artistes de la trempe de Shemekia Copeland, je ne vois pas comment il pourrait perdre. Et il y a Koko, et Lonnie Brooks. C'est super de travailler avec lui. Je l'aime beaucoup.
Clifton Chenier
- Quand je tournais avec Clifton dans ces revues R&B, les gens étaient passablement surpris de le voir débarquer avec son accordéon et son zydeco ! Je veux qu'ils étaient étonnés ! C'était comme une gifle en pleine poire ! Ils n'avaient jamais entendu ça à New York ! Alors on s'est fait un répertoire avec beaucoup de blues, et l'accordéon en avant. Mais je peux te dire que ça a fait chier plus d'un harmoniciste à Chicago !
- Il chantait en français bien sûr, mais surtout en Louisiane. Dès qu'on abordait ne serait-ce que le Texas, c'était : " Mais qu'est-ce qu'il raconte ? " Alors il chantait en anglais. Mais tu sais, sans lui, le zydeco n'aurait jamais dépassé les bayous de Louisiane. Il fut un pionnier. Si le zydeco commence à traverser l'océan aujourd'hui, vraiment, c'est grâce à lui.
Le Blues..et plus
- Me voici de retour en France, mon second foyer. J'y suis venu au début des années 80 avec le grand Lowell Fulson. Je ne suis pas un étranger ici. La dernière fois, c'était en 88, avec Joe Houston.
- Je suis ici depuis mardi, et je dois dire que jusqu'à présent, on a eu une assez bonne réponse du public. On ne m'a pas encore jeté de fruits pourris, c'est que je dois encore m'en sortir à peu près.
- Je fais de la musique de danse, un blues joyeux, le Texas Blues jump. Toutes les filles au bar dansent, c'est que je dois faire quelque chose de pas mal.
- Ça fait 40 ans que je vis en Californie, comment ne pas être influencé par le jazz ? Je combine ça avec un peu de Texas blues, un parfum de country de Louisiane. On entend de tout dans ma musique.
(Le rap)…- c'est le truc des jeunes d'aujourd'hui. Moi je reviens vers un son différent. Vous entendrez chez moi plus de cuivres que jamais auparavant. Je suppose que plus on vieillit, plus on va vers ce genre de choses.
(A propos de Texas Blues moderne, SRV, Anson Funderburgh) - Tout ça est venu bien après. T-Bone était un vrai Texas bluesman. Quand on parle de vrai Texas Blues, on parle de gens comme T-Bone, Clarence Gatemouth Brown… Il est incroyable.
- Maintenant, je cherche un nouveau label. J'ai commencé à discuter avec un vieil ami qui s'occupe de Stony Plain. Ils ont travaillé avec Duke Robillard, Roscoe Gordon, Jay McShann…
- Lonesome Sundown avait eu un très mauvais deal avec une maison de disques. Ça l'avait passablement refroidi, il ne voulait plus enregistrer. Mais je l'ai convaincu d'essayer encore, comme je l'ai fait avec Long John Hunter. Been Gone Too Long, c'est un bon album qu'on a fait là avec Lonesome.
- J'ai vécu au Mexique, où j'ai joué avec Long John, et j'ai toujours aimé cette musique, comme le zydeco d'ailleurs. Je me souviens, quand on se pendait aux poutres. On se marrait bien. Vous avez raté quelque chose ! C'était une sacrée époque ! Il y avait tellement d'énergie dans les fifties que ça recharge encore mes accus aujourd'hui.
- J'ai joué avec Little Richard, avec Etta James, et tout ces gens, quand j'étais dans le groupe de Clifton. Entre tous ceux avec qui j'ai joué et tout ceux que j'ai écouté, comment ne pas être influencé par tout ça ? Alors quand on m'écoute, on retrouve un peu de T-Bone, un peu de Chuck Berry, Lowell Fulson, Fats Domino, c'était mon école ! Et Clifton était mon héros. C'est lui qui m'a emmené dans ce business, lui qui m'a acheté ma 1ère guitare. C'était une Black Rose.
- Tous les nouveaux trucs que j'entends aujourd'hui, ça me fait pas tellement vibrer. Parce que je me souviens de cette époque, et c'était vraiment le vrai truc (the real deal). Et c'est toujours l'esprit qui m'anime aujourd'hui.
- Long John, je le connaissais déjà quand je n'avais pas encore l'âge d'entrer dans les clubs. Comme j'étais grand pour mon âge, et plutôt costaud, je me pointais avec une fausse moustache dessinée au maquillage. Qu'est-ce que j'ai pu m'éclater à l'époque ! Mais cette musique, j'entrais, et elle m'absorbait complètement. C'était en moi, vraiment. Il fallait bien que ça sorte un jour.
- Bon, à mon tour de vous interviewer maintenant : alors, qu'est-ce que c'est que cette association de blues à Paris ? Je me suis toujours demandé pourquoi il n'y avait pas d'association de blues dans une ville comme Paris…
(Nous lui racontons l'histoire de Travel in Blues)
PW : Voilà qui fait plaisir à entendre ! Je veux devenir membre à vie !
Propos recueillis le 2 mai 2001
à l'hôtel Méridien de la Porte Maillot à Paris
par Philippe Sauret et René Malines
Chicago blues :
"Jouer avec Muddy Waters a été une des meilleures périodes de ma vie. Toute ma vie, j'ai voulu jouer avec lui. Me retrouver avec Muddy, c'était un aboutissement."
Tour à tour sideman de Muddy Waters puis de Magic Slim, John Primer continue à porter bien haut l'étendard du Chicago blues, celui de la tradition. Mais loin d'une quelconque poussiéreuse pièce de musée, c'est toute l'essence de ce style majeur que Primer se propose de faire perdurer par delà les générations, pour notre plus grand plaisir.
Travel in Blues : Bien que ce ne soit pas votre premier passage en France, vous n'êtes pas venu très souvent chez nous ?
John Primer : Non, c'est vrai. Je suis venu il y a deux ans avec la tournée Chicago Blues Festival, avec Vance Kelly.
TiB : Oui, avec un arrêt à la Bagneux Blues Night où nous, public parisien, avons pu vous applaudir…
JP : Oh, tu y étais ? Super !
TiB : Alors, vous commencez à vous plaire ici ?
JP : Oh oui, j'aime bien Paris. Et son public. Les gens apprécient quand tu joues le blues, ici. Tu joues un morceau, ils t'applaudissent chaleureusement. Tu te sens accueilli, bienvenu. Ça fait du bien. On vient à peine de commencer, mais ça démarre bien.
TiB : Nous avons déjà eu des échos, des amis qui ont dit le plus grand bien des premiers shows…
JP : Super ! .
TiB : Parlons de votre carrière…Vous avez un CV impressionnant, vous avez joué avec de véritables légendes, à commencer par Muddy Waters ?
JP : C'est exact…
TiB : Une chaîne de télévision française a récemment passé un document dans lequel on vous voit l'accompagner lors du Festival de Chicago en 1983…C'était son tout dernier concert, je crois ?
JP : En effet, c'était le dernier. Ce fut un super concert. Johnny Winter est venu jammer, Buddy Miles aussi. Et Big Twist, de Big Twist & The Mellow Fellows. Bien sûr, personne ne se doutait que ce serait son dernier concert. Mais il est tombé malade peu après.
TiB : Mais comment vous êtes-vous retrouvé engagé dans le groupe de Muddy Waters ? Comment l'avez-vous rencontré ?
JP : Eh bien, quand j'étais enfant, j'adorais déjà la musique. J'ai grandi en écoutant Muddy, Jimmy Reed, Howlin' Wolf, B.B.King, Bobby Bland, Lightnin' Hopkins, aussi loin que je me souvienne. Mais quand j'écoutais Muddy Waters, il y avait toujours dans sa musique quelque chose de particulier qui me faisait du bien. Je me disais "mais quel mec ! J'aimerais bien jouer avec lui un jour". Le temps a passé, et vers l'âge de dix-huit ans, je suis venu à Chicago. J'ai formé un petit groupe et on jouait à droite à gauche, de 1963 à 1974. Et puis j'ai découvert Theresa's Lounge, où j'ai joué jusqu'en 1980. C'est Junior Wells qui dirigeait le groupe maison, dont j'ai fait partie pendant 7 ans. Après je suis parti jouer avec Willie Dixon, qui m'a amené à Mexico City pour un show où il y avait aussi Muddy Waters et Koko Taylor. C'est là que je l'ai rencontré. Quand son groupe s'est séparé en 1980, il avait besoin d'un guitariste. Il a alors appelé Willie Dixon pour lui demander : " C'était qui, ton guitariste à mexico City ? - Il s'appelle John Primer " Il lui a donné mon numéro, et Muddy l'a donné à Mojo Buford, son harmoniciste, et son meilleur ami depuis des années. Mojo est venu me voir au Theresa's Lounge et il m'a dit : " Muddy cherche un guitariste. Je vais te recommander. Tu veux jouer avec Muddy ?- YEAH! Toute ma vie j'ai voulu jouer avec lui ! " Il m'a invité à répéter avec eux le lendemain, et le surlendemain, on était chez Muddy, qui m'a dit avoir apprécié mon jeu. C'est comme ça que j'ai commencé à jouer avec Muddy Waters. Ça a été une des meilleures périodes de ma vie. J'ai beaucoup aimé jouer avec Willie Dixon, mais me retrouver avec Muddy, c'était un aboutissement.
TiB : Beaucoup de gens de ma génération vous ont découvert alors que vous jouiez avec Magic Slim, plus particulièrement grâce aux enregistrements de chez Wolf, la fameuse Zoo Collection. Vous êtes resté longtemps avec lui, avant de démarrer votre propre groupe ?
JP : Disons que j'ai pris mon temps. En arrivant à Chicago, j'avais déjà eu mon propre groupe qui s'appelait The Maintainers. Après la séparation, j'ai joué avec un groupe qui s'appelait Brotherhood. Et tout ce temps-là, j'étais le leader. Après j'ai joué dans un club tenu par la femme de Junior Wells. Je ne me souviens plus du nom du club, mais le groupe s'appelait Hot Coke. Et quand John Wacker a quitté Theresa, il m'a donné son job là-bas.
TiB : Vous avez toujours joué typiquement Chicago Blues. Aujourd'hui que le blues s'est répandu dans le monde entier, c'est ce style qui est le plus représenté, parce qu'au sein du blues en général, le Chicago blues est une véritable tradition en soi. Vous sentez-vous comme une espèce de porteur de la flamme ?
JP : Oh oui, absolument. Je ne change pas ma ligne. Je me souviens du blues que j'écoutais en grandissant, et je le joue toujours de la même façon, à l'ancienne. J'essaie de rester le plus proche possible du Chicago Blues originel. Je ne veux pas changer. Si je le faisais, il n'y aurait plus de blues original. Il n'y a lus grand monde qui joue le blues comme ça, tu sais. Aujourd'hui, beaucoup ajoute des pédales, des effets, pour jouer le blues.
Du coup, ce n'en est plus vraiment. Tout ce dont tu as besoin pour jouer le blues, c'est une guitare, un jack, un ampli, et toi. Pas besoin de tous ces trucs. C'est pourquoi je sens que je joue aussi pour les plus jeunes, pour le futur. Parce que si je ne le fais pas, ils ne connaîtront pas le blues originel. C'est pour ça que je continue.
TiB : Parmi tous ces gens qui ont choisi de jouer Chicago Blues, certains ont tendance à user un peu ce filon. Ce qui est notable avec vous, c'est que le vôtre, bien que traditionnel, reste très vivant. C'est la foi ?
JP : (il rit) Oui, en quelque sorte. En fait, la différence, c'est que mon blues reste droit, original. C'est le vrai blues, c'est comme ça qu'il faut le jouer. Avec un gros feeling. Il m'arrive de me faire pleurer moi-même en jouant. J'ai des frissons partout ! C'est ça le blues.
TiB : J'ai eu la chance de pouvoir parler avec Little Milton quand il est passé ici, et il me disait qu'il avait beau aimer le blues, il ne pourrait pas jouer les douze mesures toute la soirée, tous les soirs. Sinon, disait-il, il finirait par s'en lasser. Ce qu'il fait est superbe, mais c'est super aussi d'avoir quelqu'un comme vous, avec une position radicalement différente…
JP : J'aime beaucoup Little Milton, c'est vrai que ce qu'il fait est super. Il reste une de mes idoles.
TiB : On a parlé de vos albums sur Wolf, mais vous enregistrez aujourd'hui pour Telarc. Vous avez un contrat pour plusieurs disques, ou vous ne signez que pour un CD à la fois, comme Magic Slim ?
JP: Un album à la fois. Comme je l'ai fait avec Mike Vernon pour Atlantic. C'est lui qui m'a présenté à Telarc. C'est une bonne compagnie, et je vais en faire un autre avec eux.
TiB : Magic Slim nous expliquait que s'il ne signait des contrats que pour un album, c'est parce qu'il ne voulait pas se retrouver obligé de faire des disques qu'il n'aimerait pas, juste pour assurer le contrat. C'est aussi votre philosophie ?
JP : Exactement. Quand ils signent un contrat avec une compagnie, beaucoup d'artistes sont tout excités, ils ne pensent pas aux éventuelles conséquences. Moi, je laisse une chance, j'accepte de signer pour deux albums. Un par an. Ça me laisse libre de jouer la musique que je veux. Magic Slim a été mon professeur. Il m'a toujours dit : " Fais attention avec ton stylo. Sois prudent ". Je l'adore.
TiB : On a parlé de votre passé, voyons un peu le futur. Vous n'êtes venu que pour cette série de concerts au Méridien ou vous êtes en pleine tournée ?
JP : J'ai fait deux concerts avant de venir à Paris. Un à Bordeaux, l'autre dans une ville dont j'ai oublié le nom. J'ai encore quelques dates dans le Sud de la France, et après je rentre aux Etats Unis. J'espère revenir cet été pour quelques festivals.
TiB :Vous avez des projets en cours, comme un nouvel album, ou jouer dans des endroits où vous n'êtes jamais allé ?
JP : Des lieux où je ne serais jamais allé, tu sais, il n'en reste pas beaucoup Sinon, comme je le disais, je vais faire un album pour Telarc. Et j'en ai fini un en janvier pour Wolf Records. Ce sera un album de slide, un hommage à Elmore James. Il devrait sortir à l'automne. On a un peu tendance à oublier Elmore James, alors qu'il était un artiste de blues majeur, très différent de n'importe qui. Il avait son propre style, et je voudrais garder ça vivant.
TiB : Aussi sauvage qu'il l'était ?
JP : Oh oui, absolument !
TiB : Pas d'album live en vue ? Vous n'en avez pas d'autre depuis le Wolf enregistré au Zoo Bar…
JP : J'y travaille justement en ce moment. Un album live qui devrait sortir sur mon propre label.
TiB : Plutôt des reprises ou des compositions originales ?
JP : Surtout des originaux.
TiB : Quelque chose à ajouter ?
JP : Oui, c'était sympa de parler de blues, et j'essaie de garder ça vivant. J'aimerais dire aux plus jeunes de se concentrer sur ce qu'est réellement le blues. C'est une musique merveilleuse, qu'il faut apprendre. Le blues ne mourra jamais, il ne vieillira jamais. C'est une musique ancienne, mais qui sonne toujours aussi jeune. Continuez à jouer le blues des origines. Suivez les diverses écoles, ayez votre propre style, mais n'oubliez pas les origines. C'est la plus ancienne des musiques d'aujourd'hui, la mère de toutes les musiques actuelles. Et un jour, vous deviendrez célèbre en jouant le blues. Comme moi (il rit).
Propos recueillis par René Malines
le 25 avril 2001
à l'hôtel Méridien de la Porte Maillot (Paris)
Boozoo Chavis :
Le royaume du zydeco est aujourd’hui en deuil. Il vient de perdre son roi. Boozoo Chavis est mort des suites d’une attaque cardiaque au matin du 5 mai. Il avait du être rapatrié d’urgence dans un hôpital d’Austin, interrompant une tournée qui devait passer par le New Orleans Jazz & Heritage Festival. Alors que son fils Poncho prenait la tête de son groupe, les Majics Sounds, et honorait le reste des dates de la tournée, Boozoo luttait contre la mort au Texas. On s’était mis à espérer lorsque les médecins avaient annoncé que son état s’était stabilisé et se déclaraient optimistes. Le roi a finalement succombé.
Boozoo était un cow-boy, un gars de la campagne. Cela transpirait de sa musique. Une musique frustre, simple et directe, archaïque diraient certains, mais d’une terrible efficacité sur les pistes de danse. Une musique qui puisait au plus profond de la tradition créole, mêlant également blues et country. Des chansons qui parlaient de la campagne, de boucs, de volailles, de singes et bien sur de chevaux, la passion de Boozoo. Une musique apprise avant guerre dans les bals de maison et qui disparaît aujourd’hui avec son créateur.
Né en 1930 à Church Point Boozoo avait appris l’accordéon en écoutant les musiciens locaux Joe Jackson, Henry Martin, Potato Sam et Sidney Babineaux, un grand oncle auteur de quelques faces sur le label Arhoolie au début des années 60. Juste après la guerre il rencontrait Clifton Chenier, de cinq ans son aîné, venu joué avec son frère Cleveland dans les clubs de son père et de sa tante. A ceux qui par la suite lui ont reproché de prendre la couronne de Clifton, Boozoo leur répondaient : " A l’époque je le battais. Et s’il était encore en vie je recommencerai ! ". Une phrase qui en dit long sur la force de caractère du black cow-boy. Eddie Shuller, directeur du label Goldband / Folkstar, garde un souvenir très précis de ce drôle de petit bonhomme que lui amena dans son studio l’accordéoniste Sidney Brown un jour de 1954 : " un type au caractère un peu soupe au lait et un clown né s’exprimant en phrases brèves, hachées, et qui jouait sur son accordéon allemand une musique que je n’avais jamais entendue nulle part ". La première séance d’enregistrement de Boozoo Chavis, accompagné pour l’occasion par le bluesman Classie Ballou, est restée gravée dans l’histoire : " Classie n’avait aucune idée de ce que Boozoo allait faire dans le studio, si bien qu’après trois jours, rien ne s’était passé. Je me suis finalement dit que si j’achetais une bouteille pour Boozoo , ça allait le stimuler. Après qu’ils aient eu terminé le whisky, ils ont commencé à jouer vraiment " raconte Shuller. Classie Ballou poursuit : " Avec Boozoo nous avons enregistré cette chanson , Paper In My Shoe (…). il n’avait aucun sens du timing et ce fut une séance d’enregistrement très difficile. Je pense que j’étais aussi en partie responsable car à cette époque je ne comprenait pas le zydeco. Nous avions beaucoup bu et Boozoo était tellement saoul qu’il tomba de sa chaise". Selon Shuller la chute se passa pendant que la bande tournait. Mais malgré cela l’accordéoniste continua à jouer, terminant l’enregistrement par terre. Le producteur ne croyait pas en la réussite de cette chanson. Trop primaire, trop frustre, trop primitive jugeait-il. Et puis on ne comprenait pas ce que Boozoo chantait. Aussi quelle ne fut pas sa surprise de voir le morceau faire un carton dés sa sortie dans tout le Sud des Etats-Unis. Fin 1955 Paper In My Shoe s’était vendu à 138 000 exemplaires, devenant ainsi le tout premier succès de l’histoire du zydeco. Fort de cette réussite Boozoo continua à enregistré pour Shuller jusqu’en 1964, mais les relations entre les deux hommes se dégradant, le musicien finit par raccrocher définitivement son accordéon, dégoûté par le business et persuadé, non sans raisons, de s’être fait arnaquer.
L’histoire du petit homme aurait pu s’arrêter là. Il serait resté un artiste obscur de l’histoire de la musique louisianaise avec ses quatorze faces enregistrées pour Shuller. Boozoo se satisfaisait pleinement de son travail de jockey et n’envisageait nullement de revenir sur scène, se contentant de jouer pour son plaisir et celui de sa famille. Mais le destin en décida autrement, cela grâce à Rockin’ Sidney. En 1983 Ce haut personnage de la culture créole, chanteur, parolier, animateur radio, auteur de l’immortel My Toot Toot, seule chanson zydeco à s’être vendue à plus d’un million d’exemplaires, réussi non sans mal a persuader Leona Chavis de laisser son mari faire quelques titres pour son label ZBC. Le succès auprès des Noirs de Louisiane fut foudroyant. Une des chansons, Dog Hill, du nom du quartier de Lake Charles où Boozoo habitait, fut reprise par des dizaines de groupes, donnant lieu à de multiples adaptations basées sur des aboiements de chiens. Un autre morceau, Deacon Jones, au contenu particulièrement salace et pour cela interdit de diffusion sur les radios, devint lui aussi une des meilleurs ventes du cow-boy. Boozoo signa alors sur Maison de Soul, le label de Floyd Soileau, et continua d’enchaîner les succès : Johnnie Billy Goat, Uncle Bud, Suzy Q, Make It To Me… En peu de temps il devint un des personnages centraux de la communauté créole, remettant notamment au goût du jour les trail rides, ces parcours à cheval dans la campagne et sur les routes, qui se terminent par un bal et permettent aux familles de se retrouver après le travail de la semaine. Mais surtout, par son charisme, son énergie, sa joie de vivre, son jeu de scène extraordinaire, l’homme incita de nombreux jeunes à faire une carrière musicale dans le zydeco. En fait, son importance sur l’évolution de cette musique à partir du milieu des années 80 peut être comparée à celle de Clifton Chenier dans les années 70. La plupart des jeunes musiciens d’aujourd’hui revendiquent ouvertement son influence : Keith Frank, Rosie Ledet, Jo Jo Reed, J Paul Jr, Chris Ardoin, Step Rideau… Son élève le plus doué fut sans aucun doute Beau Jocque qui repris son jeu d’accordéon, le mélangeant aux sonorités rap , funk et rock. Les deux hommes s’appréciaient et se respectaient, au point d’organiser ensemble des zydeco battles qui faisaient la joie du public. Tels deux catcheurs les deux musiciens se jaugeaient, se défiaient puis s’affrontaient. Dans ces combats Boozoo avait toujours le dernier mot, Beau Jocque le laissant gagner par respect et par amitié. Après la mort du zydeco giant en 1999, Boozoo aurait sans doute pu trouver d’autres partenaires pour ces zydeco battles. Mais son amitié pour Beau Jocque était telle qu’il n’en fit rien.
A partir des années 90 la carrière de Boozoo prit une nouvelle direction. Pris en main par le label Rounder, il allait connaître enfin une reconnaissance nationale et internationale grâce au producteur Scott Billington. Une reconnaissance qui lui permit de recevoir en 1994 des mains de Rockin’ Dopsie Jr, le fils du précédent roi, la couronne et le titre de King of Zydeco.
Boozoo fut un bon roi. Nous avons pu en juger lors de sa fantastique prestation au New Orleans Jazz Festival de 1999. Vêtu de son célèbre tablier qui évitait à la transpiration de salir ses vêtements le petit homme fut fidèle à sa réputation. Bien épaulé par ses Majics Sounds Boozoo enchaîna ses grands succès. Et lorsqu’il attaqua Who Stole My Monkey? le morceau phare de son dernier CD, de toutes part dans le public surgirent des marionnettes de singe en réponse à sa question.
Boozoo n’était jamais venu en Europe. Il n’en avait pas besoin car il tournait intensément aux Etats Unis. En fait son agenda était déjà bouclé pour les deux ans à venir. Il venait de terminer l’enregistrement d’un nouveau disque pour Rounder, accompagné pour l’occasion par le guitariste Sonny Landreth, membre durant plusieurs années de l’orchestre de Clifton Chenier. Ce disque sera son testament discographique. Aujourd’hui le crawfish circuit est en deuil et pleure l’homme de Lake Charles. Au paradis Boozoo a retrouvé Beau Jocque. Sur que le ciel tremble maintenant qu’ils peuvent se défier à nouveau.
Philippe Sauret
Selection discographique :
|
My Favourite Things Patrice " Big Boy " Vilatte Dans la famille Swampini, je voudrais le batteur.
| Johnny Winter : "Pour moi, branché rock, Johnny Winter, c'était du rock & roll. Et je tombe sur un vrai disque de blues, avec Muddy Waters. Evidemment, c'est la grande découverte. C'est mon premier vrai disque de blues." Howlin' Wolf : "Pas forcément le meilleur disque de Howlin' Wolf, mais c'est l'un de mes préférés. C'est le pont entre le rock qui m'éclatait à l'époque - il y a les Stones, il y a Clapton - et ces bluesmen que je découvre grâce à eux. J'ai une pensée particulière pour Little Red Rooster sur la face B où Howlin' Wolf donne quelques conseils à Eric Clapton, et ça, évidemment, ça tue." Muddy Waters : "C'est peut-être le plus mauvais Muddy Waters, mais c'est grâce à ce disque que je le découvre. J'aime tout, et notament la pochette. On le voit habillé en prêtre avec une ficelle autour de la taille, des sandales aux pieds. Il y a un livret qui explique comment il a fait sa banane. Ça, je l'ai fait encadrer. C'est un monument d'humour. Il a sûrement fait beaucoup mieux avant, mais c'est mon disque de Muddy Waters. " Louisiana Swamp Blues (Fly Right/ Charlie - 1989)"La compilation qui m'a fait découvrir le Swamp Blues. Ils sont tous là : Slim Harpo, Lightnin' Slim, Lonesome Sundown, Lazy Lester, enfin c'est tout le swamp blues, c'est parfait de A à Z. Ça m'a incité à les découvrir tous ensuite, de Slim Harpo à Silas Hogan en passant par Henry Gray." Lightnin' Hopkins : Texas Blues (Arhoolie) "J'amène ce disque à Pascal Swampini qui m'en amène un aussi, et c'est le même ! C'est ce qu'on a envie de faire. Evidemment, ce n'est pas ce qu'on fera, mais c'est l'origine de Father Of The Waters, le 1er album de Swampini." Hound Dog Taylor : "Je suis tombé sur le cul. Pas de bassiste, des guitares pourries qui jouent roots, c'était tout ce que j'aimais, c'est tout ce que j'aime encore." DooThe Doo : "C'est la 1ère fois qu'un groupe français chantant en anglais fait un disque aussi parfait. Beaucoup de compos, les voix sont extras, la pochette est superbe, j'espère que c'est un disque qui va rester." |
La Gazette De Greenwood a parlé à plusieurs reprise de Travel in Blues, notamment à l'occasion des fameux boeufs organisés au BottleNeck, au Saint-Louis Blues, à La Scène, au Cristal...
relisez les numéros
9,
13,
15,
18,
20,
28,
38
Revivez l'histoire de Travel grace aux sommaires et aux couvertures de tous les numéros parus, conservés par Pierrot Mercier sur son site www.argyro.net/amap/travel.html