Carnet de route
U.S.A. 2001 2 ème partie |
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une des centaines d'églises de Chicago (photo GL) |
La matinée se passe dans les quartiers noirs. Toujours en quête de photos intéressantes, nous photographions beaucoup d'églises. Tout à coup, par le plus grand des hasards, nous nous trouvons en face de la Christian Tabernacle Church, l'église du Révérend Maceo L. Woods (4712, South Prairie Avenue). Il nous aperçoit, sort du bâtiment et vient vers nous pour nous demander quel intérêt deux Blancs peuvent bien avoir à photographier son église. Nous lui expliquons que nous venons de Belgique, que nous sommes de grands amateurs de Gospel et que nous connaissons ses enregistrements. Très aimablement, il nous accueille dans son église, nous la fait visiter, nous explique et nous montre le projet d'agrandissement de la Christian Tabernacle Church. Il nous fait asseoir dans son bureau et Robert en profite pour l'interviewer.
Mais il faut bientôt le quitter car, à 14h30, nous avons rendez-vous avec Jeffrey P. Radford, le Director of Music de la Trinity United Church of Christ. En effet, il nous a invités à dîner chez Leona's, un petit restaurant italien fort sympathique situé non loin de chez Michel Lacocque. Notre flânerie du matin, notre rencontre inattendue avec Maceo Woods et les embouteillages de Chicago font que nous y arrivons bien après 3 heures. Jeffrey nous accueille néanmoins avec un large sourire et pendant le repas, il nous entretient de son église et de son travail. Nous nous procurons un exemplaire du Reader, un journal gratuit qui présente, à la section 3, tous les concerts de blues auxquels on peut assister à Chicago. Vu la programmation d'Eddie Clearwater le lendemain, nous décidons de rester un jour de plus dans la Windy City. Et puis, il y a encore tant et tant de choses à faire, à voir et à écouter qu'il nous est très difficile de quitter la ville. Nous rentrons donc à l'International House et prolongeons notre réservation. La chaleur est encore très étouffante. A 20 heures, nous nous dirigeons vers le B.L.U.E.S. où se produisent Willie Kent & The Gents ainsi que Bonnie Lee.
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le temple et la voiture du rev Maceo Woods (photo RS) Peintures murales dans le South Side: (photo GL) (photo RS) Bonnie Lee, Jake Dawson et Willie Kent au Blue Chicago (photo GL) |
Downtown Chicago (photo GL) |
A 8h30, nous déjeunons dans le patio de l'International House. Malgré la fraîcheur de la fontaine, la chaleur commence déjà à se faire sentir. Demain matin, nous quittons Chicago pour Nashville, puis pour Memphis où nous attend Davis Evans. Puisque c'est notre dernier jour à Chicago, nous ne perdons pas de temps et nous nous mettons en route vers les quartiers noirs pour une séance photo. A un carrefour, une bouche d'incendie que des enfants ont probablement dévissée crache un énorme jet d'eau. Tout le voisinage est sur le pas de la porte et beaucoup profitent de l'aubaine pour prendre une douche gratuite. L'eau envahit rapidement les bas-côtés de la route et bientôt, tout le quartier est inondé.
Nous nous dirigeons alors vers le Loop, et, après une visite à la grande librairie Borders, nous dînons chez Ada's Famous Deli, 14, S. Wabash Ave. d'une délicieuse goulache sur lit de nouilles. Nous flânons ensuite sous le métro aérien et, après avoir fait quelques emplettes, nous rentrons pour recharger les batteries de la caméra et pour prendre un peu de repos. A 20 heures, nous sommes au Blue Chicago, 736, N. Clark Street (www.bluechicago.com) pour assister à un très beau concert d'Eddie "The Chief" Clearwater. Nous rentrons vers minuit et préparons nos valises pour le départ du lendemain. |
A 7 heures, nous prenons un petit déjeuner dans le patio et nous préparons l'itinéraire pendant que les écureuils, à deux mètres de nous, coltinent des épis de maïs et viennent boire à la fontaine. Nous descendrons par l'Indiana et le Kentucky pour enfin arriver dans le Tennessee. Nous embarquons les valises, les sacs et le matériel dans la voiture. Il fait déjà très chaud et il n'est que 8 heures du matin. Mon T-shirt me colle à la peau. Nous activons la climatisation et nous commençons la descente vers le Sud. Nous nous relayons au volant toutes les heures. Ainsi, le voyage ne nous paraît ni trop long ni trop fatigant. Arrivés à Nashville, nous réservons une chambre au motel Executive, situé non loin du centre. Le soir, nous parcourons Broadway, l'artère principale et prenons notre repas du soir dans un bar où se produit J.D. Wilson, chanteuse de country. La musique n'est pas mauvaise, mais la nourriture l'est. Un autre orchestre succède au précédent, mais nous préférons nous rendre à Printer's Alley, à quelques blocs de là, une petite rue où sont rassemblés quelques bars à blues. Mais rien d'intéressant n'est à l'affiche et nous rentrons au motel vers minuit. |
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Nous pensions passer deux nuits à Nashville mais, vu le peu de possibilités que la ville offre, nous décidons de prendre la route de Memphis. Mais auparavant, Robert téléphone à Doug Seroff, écrivain et historien de la musique gospel, spécialiste des male quartets qui nous propose de nous faire visiter la Fisk University, créée en 1866 pour éduquer les esclaves nouvellement affranchis. En 1871, les neuf membres des Jubilee Singers, le premier groupe afro-américain à avoir connu la célébrité, donnèrent des concerts aux Etats Unis et en Europe et récoltèrent des fonds pour la construction de l'Université. Avant de reprendre la route de Memphis, nous dînons avec Doug dans un excellent restaurant mexicain. En cours de route, nous sortons à Brownsville (TN) et, afin de nous procurer une carte de Memphis, nous nous arrêtons au West Tennessee Delta Heritage Center. Non loin de là, nous tombons tout à fait par hasard sur la petite cabane où a vécu Sleepy John Estes. Difficile d'imaginer qu'il ait pu vivre dans de telles conditions. Vers 19h30, nous arrivons au motel La Quinta Inn et prenons possession de notre chambre avant de partir à Beale Street. Nous entrons au Blues City Cafe (138, Beale Street) où se produit Earl The Pearl, accompagné par Dan Charette à la guitare, Jesse Smith au sax, Melvin Lee à la basse et Honey Mack à la guitare. Nous nous engouffrons peu après au B.B. King's et nous assistons au concert de Manuel Gales, mieux connu sous le nom de Little Jimmy King qu'il s'est légalement donné en l'honneur de ses deux guitar heroes, Jimi Hendrix et Albert King. Son spectacle est éblouissant. Il est accompagné par James Jackson (b.) et par Ray Cunningham (dr.). Au pied de la scène, Preston Shannon danse. Le motel La Quinta nous voit arriver vers deux heures du matin. |
la maison de Sleepy John Estes, Brownsville (photo GL) Earl The Pearl au Blues City Café (Beale Street, Memphis): Dan Charette (guitare), Melvin Lee (basse), Jesse Smith (sax), Earl The Pearl (photo RS) Little Jimmy King, au B.B. King's (Beale Street, Memphis) (photo GL) |
Streetcar à Memphis, Georges Lemaire à la caméra! (photo RS) Daddy Mack Orr, au Center for Southern Folklore (photo GL) Au Wild Bill's : Big Lucky Carter, son amie Mary Fulton et Georges Lemaire (photo RS) |
Après un copieux petit déjeuner, nous décidons de faire une incursion en Arkansas. Pour dîner, nous nous arrêtons à Hazen, au Craig's Barbecue Café, qui propose de la soul food renommée jusqu'à Little Rock. Vu de l'extérieur, le petit bâtiment en bois ne paie pas de mine. D'ailleurs, de l'intérieur non plus. Mais, maintenant encore, je pense avec une émotion gourmande aux ribs, au chou, aux beans et au pain de maïs que la cuisinière noire nous a apportés. Vers 18h30, nous arrivons chez David Evans qui, avec son épouse, nous accueille très chaleureusement. Après la traditionnelle remise de cadeaux, nous nous mettons en route pour le centre de Memphis. Ce soir, nous allons au Center for Southern Folklore. Judy Peiser, la co-fondatrice du Centre, que je n'ai pas vue depuis deux ans, me reconnaît et les retrouvailles sont assez chaleureuses. Ce soir, "Daddy" Mack Orr est au programme. Né à Como (MS) en 1945, cet autodidacte (En 1989, il s'est acheté sa première guitare dans un pawn shop!) s'est installé à Memphis à l'âge de vingt ans. Mécanicien de formation, il a fait partie des célèbres Fieldstones. A la disparition de ceux-ci, il a formé son propre groupe avec certains membres des Fieldstones. En 1998, il a eu la surprise de pouvoir jouer avec les Rolling Stones au cours d'une soirée organisée par la Blues Foundation au Rendezvous, un célèbre restaurant de Memphis. A 23 heures, nous nous éclipsons pour nous rendre au Wild Bill's lounge (1580, Vollintine). L'endroit est bondé, la clientèle est exclusivement noire et l'ambiance est surchauffée. Wild Bill encaisse les entrées et manipule sans arrêt une grosse liasse de billets verts. Il nous apprend qu'il a été chauffeur de taxi à Memphis pendant 54 ans. Tout le monde mange, boit ou danse. Les Hollywood All Stars sont excellents. Aux claviers, "Boogie Woogie" William Hubbard et à la batterie, Big Don Valentine. A la basse, Melvin Lee et Dan Charrette à la guitare. Ces deux derniers, nous les avons déjà entendus hier, avec Earl The Pearl, au Blues City Café. David Evans a téléphoné à Big Lucky Carter pour le prévenir de notre arrivée. Quand nous entrons au Wild Bill's, nous le trouvons déjà attablé et il nous invite à s'asseoir près de lui. Ce n'est qu'à partir de 1h30 du matin qu'il se décide à jouer. Assis au bord de la piste de danse, il enflamme l'assistance qui l'acclame et l'applaudit à tout rompre. Nous sommes de retour chez David à 3h30. |
Pendant que nous prenons notre petit déjeuner avec David, des colibris (hummingbirds) viennent s'abreuver près de la fenêtre de la cuisine. Leur vol immobile et leurs battements d'ailes extrêmement rapides sont très agréables à observer. Ce matin, nous prenons des photos du quartier noir, de l'ancien studio Sun, et de la radio WDIA où B.B. King fut DJ à plein temps à partir de 1949. Nous allons également voir le terrain vague sur lequel sera édifié le futur musée Stax (926, McLemore). Démoli en 1989, le bâtiment est actuellement en cours de reconstruction. Nous allons ensuite au magasin de disques The Gospel Shop (S. Third Street, 2) Cet après-midi, nous avons rendez-vous avec le Rev. Leroy Liddell, ancien chanteur de gospel. Nous nous garons en face d'un vaste bâtiment à plusieurs étages. Il s'agit d'une maison pour retraités. Leroy nous attend sur le porche et nous accueille très aimablement. Nous le suivons dans l'ascenseur et il nous fait entrer chez lui. Sa femme est décédée. Il vit dans une seule pièce pauvrement meublée qui lui sert à la fois de salon, de salle à manger et de chambre. Une minuscule cuisine complète son logement. D'emblée, il nous prévient qu'il vient d'avoir une attaque et que sa mémoire est parfois défaillante. Son élocution trébuchante nous le démontre. Il nous raconte beaucoup de souvenirs, et c'est avec beaucoup de fierté, mais aussi de nostalgie qu'il nous montre des revues, des documents, témoins de son passé glorieux. Il a en effet enregistré un LP sur Savoy intitulé Little Wooden Church On The Hill. Celui-ci, en mauvais état, dernier exemplaire qui lui reste, est posé sur son vieux tourne-disque. Et maintenant, comme dirait Shemekia Copeland dans Ghetto Child : "This is the part that moves me so much right here". Dans l'ascenseur, lorsque le Rev. Leroy Liddell nous raccompagne, il interpelle fièrement quelques dames âgées pour leur annoncer que des "historiens" sont venus spécialement d'Europe pour l'interviewer. Arrivés au rez-de-chaussée, dans le hall d'entrée, nous l'entendons raconter la même chose à un groupe de pensionnaires. C'est à ce moment que Robert leur confirme : "Bien entendu, Leroy Liddell est un auteur-compositeur très connu en Europe. Vous ne saviez pas?" Les compagnons de building de Leroy le regardent comme s'ils ne l'avaient jamais vu. Lui, bien sûr, est fier comme un paon. C'est son jour de gloire. Nous devinons aisément le sujet de conversation du home au cours des prochains jours. De notre voiture qui s'éloigne, nous lui faisons des signes d'adieu qu'il nous rend avec un sourire éclatant. Comme il fait encore très chaud, nous nous dirigeons vers le Wild Bill's pour y déguster une Samuel Adams.
Nous retournons chercher David Evans chez lui et à 21 heures, nous arrivons au Center for Southern Folklore pour assister à un concert des Fieldstones. Nous y retrouvons Judy Peiser avec beaucoup de plaisir. A mon grand regret, Will Roy Sanders ne fait plus partie des Fieldstones : il s'est fait virer lors d'un concert donné à Paris au cours duquel il est tombé le derrière par terre tellement il était imbibé. Le concert des Fieldstones est donné en l'honneur de Mose Vinson dont c'est l'anniversaire (84 ans). Il est au piano et se débrouille, ma foi, encore bien. A la fin du premier set, Judy Peiser lui apporte un énorme gâteau à la crème. Avec quelque difficulté, il souffle toutes les bougies pendant que Wilbur Steinberg (bassiste de Booker T & the MG's) entonne "Happy birthday to you". Le moment est émouvant. Nous recevons, bien entendu, une part de gâteau! Mose Vinson se fait raccompagner chez lui, car il commence à se faire tard et le second set commence. Pendant toute la soirée, un habitué danse près de l'estrade. Il porte un costume blanc impeccable. Il a 91 ans et n'a pas usurpé son surnom : Mr. Clean. |
L'ancien studio Sun (photo GL) les studios de la radio WDIA, à Memphis (photo GL) A l'emplacement du studio Stax démoli, le projet de reconstruction. (A l'heure actuelle, le chantier est bien avancé) Mose Vinson (84 ans) au Center for Southern Folklore (photo RS) The Fieldstones (photo RS) |
dans le Temple Of Deliverance (photo RS) Butch Mudbone au Handy Park (photo GL) Ben Wilson (photo GL) Miss Brown Sugar au Legends, Beale Street (photo GL) Fred Sanders, Handy Park (photo GL) |
Un dimanche à Memphis ne se conçoit pas sans Gospel. Nous nous levons donc de bonne heure et, après un rapide déjeuner pris avec David Evans, nous mettons sans plus attendre le cap vers la Temple of Deliverance Church of God in Christ (369, G. E. Patterson Avenue). Dirigée par le Bishop G. E. Patterson, un prédicateur de grande renommée, cette superbe église a été édifiée en 1999, a coûté 13.500.000 dollars, peut contenir plus de quatre mille fidèles et ne compte pas moins de 12.000 affiliés. Nous sommes tout d'abord invités à assister à la répétition de l'orchestre qui accompagne le chœur. Un responsable nous conduit alors dans l'église et nous prenons place. Le bâtiment est luxueux et grandiose. Deux écrans géants sont accrochés de part et d'autre de la scène : une équipe de télévision appartenant à l'église filme le service. Celui-ci sera retransmis le lendemain sur une chaîne locale à l'intention des affiliés qui ne savent pas se déplacer. L'église diffuse d'ailleurs de la musique gospel 24 heures sur 24 que l'on peut écouter en direct sur Radio WBBP. Le service commence à 10h45 et est orchestré à la façon d'un véritable spectacle. Tout d'abord, quelques choristes "chauffent" la salle pendant que les fidèles, peu à peu, remplissent l'église de couleurs chatoyantes. Le rideau s'ouvre alors et laisse apparaître le chœur ainsi que l'orchestre, rutilants sous les spots. La musique est excellente et bien en place. Les fidèles répondent, lèvent les bras au ciel, lancent des "Thank You, Lord!" et le temps passe. Très vite. Le moment attendu de tous est arrivé : le Bishop Patterson entame son sermon. Avec l'air de ne pas y toucher, il bavarde de choses et d'autres. Mais ne vous y trompez pas! Il s'échauffe discrètement la voix et se prépare à recevoir et à dispenser la bonne parole. Le ton enfle progressivement. A présent, il rugit, il tonne, il s'emporte, il invective et tient son public dans le creux de la main. Comme hypnotisée, l'assistance est en extase. Certains transpirent, crient, pleurent ou se tordent les mains. Après le sermon, la musique reprend de plus belle et l'assemblée toute entière se laisse aller à de fervents débordements. Des hommes en costume et cravate courent à toute allure dans les travées, les bras écartés en arborant un sourire extatique ; d'autres, également endimanchés, dansent allégrement ou tournent rapidement sur eux-mêmes ; une dame sanglote à chaudes larmes, une autre, en robe longue et talons aiguilles, sautille à pieds joints en poussant de petits cris aigus. Elle parcourra de nombreuses fois le vaste bâtiment dans tous les sens. Mais l'impression générale qui émane de ces manifestations extérieures (outrancières, à coup sûr, pour l'œil européen non averti) est un sentiment de dévotion, de ferveur spontanée qui se traduit par une joie communicative, sincère et irrépressible. Peu après, Johnny Cochran, l'avocat bien connu qui a innocenté O.J. Simpson, remplace le Bishop Patterson au pupitre. Nous nous rendons vite compte qu'en s'adressant à ce vaste auditoire, il profite de l'occasion pour faire sa publicité : il vient en effet d'ouvrir un nouveau cabinet d'avocats à Memphis. Sitôt son intervention terminée, il quitte l'église d'un pas pressé et, comme dans un film, il entraîne dans son sillage une escorte de six avocats - gardes du corps. Peu avant la fin du service, on recommande à l'assistance de faire don d'une offrande plus importante qu'à l'ordinaire, l'église ayant actuellement de grands besoins. L'orchestre et le chœur repartent de plus belle et les fidèles affluent calmement en un interminable défilé pour déposer leur obole au pied des marches. Bientôt, celles-ci sont recouvertes d'une quantité prodigieuse de billets verts. Lorsque tout le monde a regagné son siège, des préposés gantés de blanc récoltent le tout, révérencieusement, dans de grands récipients. Il est 14 heures. A la fin du service qui aura duré trois heures et demi, nous regagnons la voiture, direction Handy Park. Situé en bordure de Beale Street, l'endroit vient d'être "rénové" à grands renforts de dollars et est fréquenté par de nombreux touristes, mais aussi par quantité de désœuvrés à l'œil glauque et à l'aspect peu engageant. Sur un banc, un Noir d'une vingtaine d'années gémit et est affalé, la tête renversée en arrière. A la gorge, une plaie béante ne présage rien de bon. Le soleil tape dur et les arbres du parc procurent une ombre providentielle. Sur une petite estrade, Butch Mudbone, un guitariste blanc qui, visiblement (dents d'alligator, …) a vécu un certain temps en Louisiane, essaye de se montrer convaincant. Il joue tantôt avec les dents, tantôt la guitare derrière la tête. Honey Mack l'accompagne à la batterie et Larry Lewis à la basse. Fred Sanders, qui fut la révélation du Festival d'Utrecht 1999, se désaltère, accoudé à un bar, non loin de là. Il se laisse bien volontiers photographier. Arrivent ensuite les Hollywood All Stars, ainsi nommés d'après un quartier modeste du Nord de Memphis. Nous avons déjà pu les apprécier au Wild Bill's. Mais cette fois, Ben Wilson remplace avantageusement Dan Charrette à la guitare et au chant. Un peu plus loin, Beale Street 326, se tient le Legend's, le club de Willie Mitchell, trompettiste et producteur des premiers succès d'Al Green. Nous y écoutons Sweet Brown Sugar. Mais le concert n'a rien d'exceptionnel, d'autant plus que la First Lady of Beale Street, comme elle se surnomme, abuse de l'auto-promo et vante les mérites de son CD entre chaque morceau. Cette insistance acharnée ne la rend guère sympathique et, sitôt terminé notre daiquiri à la fraise, nous retournons au B.B. King's pour reprendre une petite louche de Little Jimmy King que nous avons déjà vu jeudi. Mais son batteur ne s'étant pas présenté, le concert est malheureusement annulé! Qu'à cela ne tienne, à Memphis, il y a toujours de quoi faire : à 20 heures, Robert Belfour, dont nous connaissons le CD What's wrong with you joue au Murphy's. En route donc pour le 1589, Madison Street. Quand nous entrons dans le bar, il n'y a que quatre personnes accoudées au comptoir. Nous nous installons à une table et attendons. Sur une petite estrade, Robert Belfour, une casquette vissée sur la tête, est en train de régler son micro. Peu après 20 heures, il commence à délivrer sa musique lancinante et hypnotique. Personne d'autre n'entrera au Murphy's jusqu'à la fin du concert. Nous sommes les deux seuls à écouter et à applaudir. Les quatre autres personnes, toujours au bar, bavardent bruyamment et tournent le dos à la scène. Le concert est superbe et je ne vois pas de meilleur exemple qui puisse illustrer l'expression "to cast pearls before swine". Nous avons à peine le temps de nous retourner que Robert Belfour a déjà disparu. D'ailleurs, personne n'a l'air de s'en soucier. Ce soir-là, il a certainement dû avoir un coup de blues! Nous rentrons chez David Evans peu avant minuit. Comme nous n'avons pas encore pris le temps de manger, nous dévorons deux tartes arrosées d'une Samuel Adams bien fraîche. |
... Suite ...
Georges LEMAIRE, Liège le 20 novembre 2001