Présente
Et
la France découvrit le blues :
1917
à 1962
par Philippe
Sauret
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INTRODUCTION
Depuis le milieu des années 80,
surtout grâce aux enregistrements du guitariste Steve Ray Vaughan, le blues
suscite un nouvel intérêt dans notre pays. Il est donc utile de revenir sur le
rôle particulier qu’a joué la France dans la découverte de cette musique de
1917 à 1962. Tant pour le jazz que pour le blues, les spécialistes français ont
souvent été des précurseurs dans le domaine des recherches. Ce rôle est bien
entendu étroitement lié à la découverte de ces musiques dans notre pays. Or, si
pour le jazz nombre d’études ont été faites sur cette implantation, tel n’est
pas le cas pour le blues. C’est assurément lié à la définition même donnée au
mot blues par les amateurs de jazz. Dans l’esprit de beaucoup, le blues étant
la source du jazz, l’étude du jazz en France comprend aussi celle du blues.
Pourtant, si on ne peut nier que le blues soit à l’origine du jazz, il a
ensuite continué une évolution parallèle à celui-ci, fait généralement passé
inaperçu de nombre d’amateurs durant la période qui nous intéresse. Cette
étude répond donc à une absence de recherches sur l’histoire du blues en
France.
Le blues est vraisemblablement né à la
fin du XIXème siècle dans le Sud des Etats-Unis, au sein de la communauté
afro-américaine. C’est d’abord une structure musicale : une partie musicale et
chantée de douze mesures, de schéma AAB qui utilise la gamme pentatonique. Il se
caractérise aussi par l’utilisation des blue
notes, altérations de la gamme des troisièmes et septièmes degrés,
qui donnent cette impression de tristesse. Mais au delà de cette définition
technique, le blues est surtout un sentiment, associé souvent faussement à la
déprime et au cafard. Ce sentiment s’exprime également dans l’interprétation
que fait passer le musicien dans sa musique (feeling).
De ce fait, le blues favorise beaucoup l’improvisation, ce qui peut
modifier sa structure. Ainsi, suivant l’humeur du musicien, on peut aussi
trouver des blues en 8, 9 ou 11 mesures. En outre, le blues a également un rôle
social : le bluesman raconte des histoires à son public qui est invité à
participer et qui, en retour, pousse le musicien au meilleur de lui même. A ce
moment, la musique a aussi un rôle cathartique, autant pour celui qui la
pratique que pour ceux qui l’écoutent[1].
C’est ce blues, tel que nous venons de le
définir, dont nous allons étudier l’arrivée en France, en essayant de répondre
à ces questions : par quels moyens, économiques, techniques et culturels, le
blues s’est-il implanté dans notre pays ? Quels regards les Français ont-ils
porté sur cette musique ? Comment se sont formés les premiers spécialistes de
blues en France, puis un public spécifique pour cette musique ?
Pour répondre à ces questions les sources utilisées ont été diverses.
Les sources écrites d’abord, avec l’étude des livres parus sur le jazz durant
notre période, ainsi que celle des journaux spécialisés. Les informations
recueillies sont assez maigres jusqu’à la fin des années 40, période à partir
de laquelle sont faites les premières recherches sérieuses sur le blues.
Dans le domaine du disque les
informations sont plus importantes mais elles ont nécessité un travail
spécifique : l’écoute des enregistrements et la prise de renseignements sur les
pochettes des microsillons ; l’étude des catalogues des maisons de disques et
l’utilisation d’ouvrages spécialisés destinés à reconstituer les réseaux de
distribution des disques.
En ce qui concerne les émissions radiophoniques et télévisées, nous
avons consulté les fiches de données de l’ I.N.A. Le nombre de celles-ci est relativement
faible, mais très représentatif puisqu’il augmente avec intérêt que porte le
grand public au blues.
Pour la filmographie nous avons utilisé le livre de Jean Roland
HIPPENMEYER, Jazz sur films, qui
mentionne des bluesmen et des jazzmen jouant des blues. Paradoxalement, parce
que ces films ont été peu nombreux, ils ont en général été très remarqués et ils ont constitué des événements
exceptionnels pour les amateurs de musique afro-américaine.
Enfin, nous avons pu rencontrer des personnes, Jacques Demètre et Kurt
Mohr, qui ont joué un rôle majeur dans la découverte du blues en France et qui
nous ont fourni de précieux renseignements. Leurs interviews figurent en
annexe.
De toutes ces sources, nous avons pu distinguer trois
grandes périodes. La première période va de 1917 à 1939. Elle commence avec
l’arrivée des troupes américaines en France, et avec elles celle des premiers
orchestres de jazz et des premières tournées de musiciens. C’est ensuite
l’importation des premiers disques, l’organisation des premières associations
d’amateurs de jazz et la création des premières revues spécialisées. A ce
moment il n’y a pas de différentiation entre le jazz et le blues et les
amateurs le découvrent par l’intermédiaire de Louis Armstrong, de Duke Ellington
et de Count Basie, mais aussi grâce à Bessie Smith et aux pianistes de boogie
woogie.
La deuxième période de notre étude s’étend de 1939 à 1958. Le jazz
survit pendant l’occupation allemande et renaît avec le retour des troupes
américaines dans notre pays en 1944. Alors qu’il n’était l’affaire que de
quelques spécialistes, il devient populaire et accessible au grand public.
L’importation de disques est plus importante, à la fois liée à la naissance de
nouveaux labels et aux progrès techniques. C’est aussi l’heure des premières
recherches sur le blues, associées à l’arrivée des premiers disques issus des race catalogues en France, et des
premières tournées de représentants de cette musique.
Enfin, la dernière période va de 1958 à 1962. Les recherches sur le
blues s’accélèrent avec des études faites aux Etats-Unis. Ces études sont à
mettre en relation avec deux courants musicaux qui naissent outre atlantique :
le rock qui donne naissance en France au mouvement yé-yé, et le folk. Cela
aboutit naturellement à une reconnaissance du blues en France, marqués par
l’organisation du premier festival de blues en 1962 : l’American Folk Blues Festival.
[1] Pour une définition encore plus complète du blues, consulter Jean-Paul Levet, Talkin’ That Talk, Ed. Hatier, Paris 1992, pages 30-35.