La Gazette de GREENWOOD
n°46 (Octobre 2002)

Tome 1:
 
Tome 2
  • Festival Blues en Retz, Pornic - 2002
  • Blues in Chedigny 2002
  • Tournon a transpiré sous le blues !!!
  • Marcus Malone au Ain't nothing but... blues bar !
  • Mr. Bluestrek & the Trekkers à Angers
  • Palace Of the King : une bande de killers...
  • Sean Costello au Bourbon Street (Bordeaux)

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Mighty Mo Rodgers (photo Philippe Pretet, Jazz à Vienne 2001)

interview:
Rouge, Blanc, Bleu :
le puissant Nu Bluz de
Mighty Mo Rodgers

date: 27 septembre 2002
de: René Malines <renemalin@aol.com>
(photos © Philippe Pretet, Jazz à Vienne 2001 et Ecaussinnes 2001)

Quand on a écouté les albums de Mighty Mo Rodgers, quand on l'a vu en concert, il y a de quoi être impressionné par la formidable stature du personnage. On n'en est que plus charmé de se retrouver devant quelqu'un d'aussi doux et affable, qui ne s'emballe que par les mots, afin de nous faire partager avec un enthousiasme communicatif la passion qui l'anime. Plus qu'une simple interview, c'est l'intensité d' un grand moment qu'il fut donné de vivre au petit reporter de la Gazette de Greenwood. Intensité que nous vous proposons de partager maintenant, ou du moins de le tenter, tant il est vrai que les mots jetés sur le papier sont si pâles comparé à ce qu'on a vécu…

Mighty Mo Rodgers (photo Philippe Pretet, Jazz à Vienne 2001) La Gazette De Greenwood : Mo, ton 1er album est sorti en 1998….

Mighty Mo Rodgers : Il a été distribué par Universal en 1999, mais je l'avais sorti en autoproduction en 1998, oui.

LGDG : …et tu as un nouvel album qui sort ce moi-ci. Alors la 1ère question, c'est…

LGDG & MMR (ensemble) : …What took you so long ? (Qu'est-ce qui t'a pris si longtemps ?)

MMR : Oui, je sais. La réponse est compliquée. Quand j'ai sorti mon 1er CD sur mon propre label, je disais au dos que c'était parce que je n'aimais pas ce que j'entendais partout, je n'étais pas satisfait de ce qu'on faisait du blues. Alors il me fallait le faire, ou bien mourir en essayant. Je ne l'ai pas fait pour l'argent, je ne pensais même pas que ça allait marcher. Je l'ai fait pour moi. Dieu merci, merci à la muse du blues, les Européens ont accroché, avant les Américains. Puis les Américains ont appelé. J'ai signé avec un gros label [NDLR : Universal], qui est maintenant américain, mais qui ne l'était pas encore. Ils m'ont dit : " Mo, on te veut. On adore ton 1er album, on te donne "carte blanche" (en français), tu fais ce que tu veux. " Et j'ai découvert que le principal souci d'une entreprise américaine, c'est de tout contrôler. J'ai horreur d'avoir à dire ça, mais c'est le cas. J'ai signé avec eux, parce que… j'ai été dans le milieu de la musique des années auparavant, j'ai été auteur-compositeur chez Motown, producteur pour Sonny Terry et Brownie McGhee, mais j'ai quitté ce milieu pour fonder une famille, et quand j'y suis revenu, j'ai découvert qu'il était désormais sous l'emprise de grosses compagnies. Le marché de la musique : c'est un véritable contresens. Je suis un artiste, je ne pense pas en termes de résultats. Mais dans le monde du business, qu'il s'agisse de musique, de cinéma, ils ne voient que ça : le résultat. Alors ils se protègent, et pour ça, il leur faut te contrôler, contrôler ce que tu dis. Je ne savais pas tout ça quand j'ai signé.

"Ce sont les mêmes qui vendent des disques et des chaussures."

Et pour résumer, ils ont essayé de contrôler mon art, de contrôler ce que j'ai à dire. Et ça, je ne suis pas près de m'y résoudre. Je suis un homme de convictions, je suis plutôt iconoclaste dans mes croyances. Le blues est très important pour moi. On ne peut pas acheter mon blues. Et c'est pourquoi j'ai dû lutter contre les pouvoirs en place pour faire l'album que je voulais. C'est pour ça que ce fut si long. Quand j'ai eu presque terminé l'album, je l'ai soumis à New York, et il n'y ont rien compris. En fait, si j'avais attendu après eux pour produire mon 1er album, il ne l'auraient pas compris non plus. Je leur ai dit : "Mais vous ne voyez pas le concept dans son ensemble". Parce que quand j'écris un album, je le fais comme un concept. Wailing Wall était un concept. Red, White and Blues est un concept qui m'est venu il y a 5 ans, bien avant ce qui s'est passé le 11 septembre à New York. Ce n'est pas une photo des événements. Le sujet, c'est le blues. Je leur ai présenté 5 titres. C'est comme si je peignais un tableau, qu'ils n'en voient que l'ébauche et qu'ils disent : "Je sais pas où tu vas avec ce tableau".

"Les artistes de blues, qui sont le fondement même de toute la musique américaine, ne reçoivent que les miettes."

Mighty Mo Rodgers (photo Philippe Pretet, Jazz à Vienne 2001) Mais comme j'avais déjà investi pas mal de leur argent, ils m'ont laissé le terminer. Et pour être tout à fait franc, quand j'ai épuisé le budget qu'ils m'avaient accordé, j'ai terminé l'album avec à nouveau mon propre argent. Y a-t-il des chansons que je n'ai pas gardées ? Bien sûr. Il y a 14 titres sur le disque, et j'ai dû en enregistrer 24. S'il y avait un morceau que je n'aimais pas, alors j'en changeais la texture. Pour moi, ce sont comme des couleurs, c'est comme ça que je les appelle. Et j'essaie de peindre avec toute la palette, comme un impressionniste français. Et pour obtenir la bonne impression, il faut parfois déplacer certaines choses. Mais ils ne comprennent pas ma façon de travailler. Ils voulaient que je fasse le disque en 2 mois, 1 seul même ! J'avais ce producteur dont j'ai dû me séparer, il disait n'avoir jamais fait d'album en plus de 2 semaines. Moi ça m'a pris une année entière. Mais on peut y voir toutes ces couleurs. Ça m'attriste de voir que les artistes de blues, qui sont le fondement même de toute la musique américaine, ne reçoivent que les miettes. Les albums pop qui font référence, comme le blanc des Beatles, ou certains Pink Floyd, ça a pris des mois, parfois des années pour les faire. Mais un disque de blues, il veulent le faire en 3 jours ! Je ne fais pas des singles, je ne fais pas des chansons : je crée un concept. J'ai dit au président d'Universal : "Ecoute, il me faut 6 mois au moins". Parce que je l'écoute, j'y reviens, je change une couleur, je change la texture. Et ça, il ne le comprend pas. Il faut ce qu'il faut. Et quand j'ai épuisé leur budget, la colère m'a pris, j'ai sorti 30 000 dollars de ma poche pour terminer cet album. Et tu sais quoi ? J'aurais voulu le produire moi-même. Parce que dans le temps que ça m'a pris, j'aurais pu trouver l'argent. Je l'ai fait pour le 1er. Parce que pour ces corporations, l'art, aujourd'hui, c'est un produit de consommation. Ce sont les mêmes qui vendent des disques et des chaussures. Mais c'est leur façon de penser. Les vrais artistes… Motown a disparu, Berry Gordy n'est plus, tous ces hommes et ces femmes qui avaient un feeling pour la musique, et qui prenaient des risques, ils ne sont plus là. Les mecs du business aujourd'hui, ce sont des comptables ! Et si votre disque ne se vend pas suffisamment dans les 3 mois, ils passent au projet suivant. C'est triste. Je suis un auteur-compositeur. Il faut du temps pour écouter ce que j'ai à dire, parce que je raconte une histoire. Mais c'est le monde de Britney Spear. Et je respecte ça, mais en tant qu'auteur-compositeur, on ne te laisse pas le temps pour dire ce que tu as à dire, transmettre ce que tu veux transmettre. Et c'est pour ça que ça a pris si longtemps. Mais je suis fier du résultat, je pense que c'est un bon CD.

"Je déconstruis le blues pour atteindre le blues."

Red, White and Blues

de: Phil "CatFish" <philpretet@aol.com>

Ce griot à la barbe blanche et au large sourire est à l'image d'un hermite post-moderne qui tente de convaincre la planète bleue que le blues est un don de dieu… Avec son bâton de pélerin, tel un prêcheur sur les marches du temple, il exhorte les foules à accepter de changer ce monde de l'intérieur. Ainsi, en inventant le nu bluez, ce bluesman atypique -dans ce monde de blues- est parti en croisade depuis Blues Is My Wailin' Wall', le blues étant son mur des lamentations, pour raviver la flamme de la musique noire américaine. Avec ce second opus, Red, White & Blues, le californien Maurice Rodgers confirme qu'il se sent bien dans les habits de porte drapeau d'un blues originel "made in america". Il rappelle à qui veut bien l'entendre qu'il y a une passerelle évidente entre le blues né en Afrique, qui s'est construit et a grandi aux Etats-Unis, que l'on ne peut s'accaparer. Allusion directe à un certain King dénommé Elvis Presley (The Boy Who Stole The Blues). Le titre éponyme de l'album annonce la couleur, sans ambiguïté : Red, white and blues. C'est tout le sens, la valeur et la portée de la symbolique qu'il livre sur scène et qui semble charmer un auditoire européen, de plus en plus large, en quête de nouveaux univers et de nouvelles sonorités.
Les thèmes abordés démontrent que sa vision du monde est sinon pragmatique du moins réaliste, conformément au credo qu'il a forgé depuis plusieurs décennies à Hollywood ou à Chicago. Ses textes, superbement rédigés, l'illustrent parfaitement : le rêve américain (have You Seen The American Dream) la perte d'identité de l'individu (DNA) l'emprise du système sur l'individu (Prisoners of The War, Blue Collar Blues) les travers préoccupants de Los Angeles (Welcome To The Fault Line) sans oublier l'hommage circonstanciel à John Lee Hooker (The Boogie Man).
Musicalement, cet album s'est ouvert à de nouvelles sonorités, comme le gospel et la soul ainsi qu'au reggae (Prisoners of War). Le mealting pot musical semble avoir pris de l'avance sur le rêve américain ! Etes-vous un poète visionnaire Mister Mo ?

ref CD: Mighty Mo Rodgers, Red White § Blues CD BLUE THUMB 589 847-2

LGDG : Tu parles d'album concept, et c'est évident pour moi. Quand ton 1er album est sorti, c'est comme si tu avais lâché une bombe sur le monde du blues. Et celui-ci est un nouveau concept, et en même temps, c'est une continuité. C'est la même histoire qui se poursuit…Apparemment, pour toi, le passé, ce sont les fondations de l'avenir.

MMR : C'est exactement ça. Et je déconstruit l'histoire. Je déconstruis le blues pour atteindre le blues, tu vois ce que je veux dire ? Il faut apprendre l'histoire pour avancer. Le blues vient de mon histoire. Comme tu le sais, dans mon 1er album, je disais "They took away the drums"(Ils nous ont retiré les tambours). Maintenant je vais vers le Holy Howl (le Saint Cri). Le blues, c'est le Holy Howl. Ça vient de l'éviscération de l'esclavage. Les gens ne veulent pas qu'on leur rappelle ça. Mais le blues, ce n'est pas tomber ivre, ce n'est pas ma baby qui m'a quitté, c'est la chose la plus terrible qui soit arrivée à mon peuple, particulièrement en Amérique, parce qu'on a été totalement éviscérés. Au moins, dans les Caraïbes et en Amérique du Sud, ils ont pu garder les tambours. Mais on a désafricanisé les Africains Américains. On nous a retiré notre couleur, nos nations, notre race, nos noms, nos dieux, nos religions, remplacés par le christianisme, nous sommes devenus les nouveaux Américains. Et c'est pour ça que c'est Red, White and Blues, parce que nous sommes venus au drapeau américain par en dessous. C'est amusant que ce soit les mêmes couleurs pour le drapeau français, bleu, blanc et rouge. Mais pour les Américains, c'est le rouge en premier. D'abord le sang. Et ils ont donné le blues aux noirs. Je crois que Dieu nous a donné cette musique si profonde pour nous libérer, car quoi de plus libérateur que le blues ? Quoi de plus profondément libérateur ? C'est pourquoi le blues est très spirituel pour moi. Et c'est pourquoi j'ai appelé l'album Red, White and Blues. Nous avons coloré l'Amérique. L'Amérique ne voulait pas de nous, mais nous sommes passé par derrière. Et maintenant nous en faisons partie. Ils chantent comme nous. Le hip hop est noir, le jazz, le rhythm & blues…s'il n'y avait pas eu les noirs, il n'y aurait pas de musique américaine, c'est un fait ! Et ça s'est répandu partout dans le monde. Ça montre à quel point c'est spirituel. C'est pourquoi je déconstruit l'histoire, je continue ce beau récit parce que nous devons nous souvenir de qui nous sommes. Il faut que je le dise, je suis poussé à le faire, ça me hante. Moi je ne fais qu'écouter, je ne suis Mighty (puissant) que par mon humilité. Et j'écoute attentivement, avec humilité, dans l'espoir d'avoir réellement quelque chose à dire.

"John Lee Hooker était un génie !"

LGDG : Maintenant si l'on compare tes 2 albums d'un point de vue strictement musical, sans parler des textes, tout en étant différents, là aussi, il y a continuité. C'est comme si tu prenais appui sur le premier pour faire un pas vers le second.

MMR : Exactement, c'est tout à fait ça. Je me catapulte du 1er vers le second. Tu as parfaitement raison. C'est le second chapitre du même récit. Je regarde en arrière pour aller de l'avant.

LGDG : On sent effectivement que ce n'est pas par hasard, que c'est intentionnel. Mais au fait, l'utilisation de synthétiseurs, des samples comme la boucle de John Lee Hooker, tu sais que tu vas avoir la "Blues police" sur le dos ?

MMR : Oui, je sais.

LGDG : Ça aussi, c'est voulu ?

MMR : Bien sûr ! Parce qu'il faut regarder les choses en face : John Lee Hooker était Africain ! Sur ce morceau, The Boogie Man, j'ai un percussionniste africain. Il est ghanéen. C'est un maître percussionniste africain. Les gens ne réalisent pas que le boogie est africain. Ça évolue en cercle. Et ce pauvre noir du Mississippi qui n'avait jamais mis les pieds en Afrique jouait une musique africaine ! Il a inventé le boogie ! Ce qui veut dire que sans lui, il n'y aurait jamais eu de Canned Heat, il n'y aurait jamais eu de ZZ Top ! John Lee Hooker était un génie ! Il pouvait écrire à propos de n'importe quoi. J'adore John Lee Hooker, et ce titre est un hommage qui referme la boucle. Il était le Boogie Man. Comme je le dis dans la chanson, "Thank you John Lee for helping me see" (Merci John Lee de m'aider à voir). En Europe, en Asie, tout le monde aime John Lee, mais il est très africain. Et j'ai samplé son Boogie Chillen parce que c'était son 1er hit.

LGDG : Il y a donc 2 boucles dans ce titre : le sampler, et le retour du boogie à l'Afrique. C'était intentionnel aussi ?

MMR : En fait il y a 2 samples, la voix de John Lee qui chante Boogie Chillen, et sa guitare. Et j'y ai ajouté ce percussionniste ghanéen qui joue en 2/3 (il tape sur ses cuisses en imitant le son de sa voix) pour montrer à quel point John Lee était africain. Bien sûr que c'est intentionnel, pour montrer que le blues est ce par quoi les noirs sont retournés en Afrique. On raconte que dans ses jeunes années, alors que le piano boogie marchait très fort, on a demandé à John Lee : "Tu sais jouer le boogie ?" Et lui n'avait pas la moindre idée de ce dont on lui parlait. Et il a fait ça. D'où John Lee, qui n'est jamais allé en Afrique, tenait-il ça ? De son subconscient, bien sûr ! C'est dans l'ADN, c'est dans le sang ! Et j'ai fait ce morceau pour nous rappeler ce que nous sommes. Nous sommes avant tout Africains, c'est de là que nous venons. Beaucoup de noirs américains veulent oublier ça, ils veulent pouvoir dormir sur leurs deux oreilles. Mais moi, je n'en ai pas honte. Nous avons survécu, nous y sommes arrivés, et nous en sommes fiers. Nous avons donné cette musique au monde, nous lui avons donné des sportifs, et nous faisons désormais partie de ce drapeau, Red White and Blues.

LGDG : Cet hommage à John Lee Hooker, c'est sans doute le seul titre de l'album où la guitare est en avant. Pareil dans ton 1er CD, il n'y a jamais de guitare solo. De nos jours, même en aimant beaucoup la guitare, c'est rafraîchissant, c'est presque nouveau, même !

Mighty Mo Rodgers (photo Philippe Pretet, Jazz à Vienne 2001) MMR : Soyons tout à fait honnêtes : le blues doit arrêter avec la guitare. Le guitariste devient la brebis noire du blues depuis Robert Johnson. Le blues est une tradition orale ! Quand on nous a pris les tambours, c'est tout ce qui nous est resté. Je vais finir par faire un album sans aucun instrument électrique. Il y aura peut-être du banjo, du dobro, de l'harmonica, du violon, tous les instruments utilisés par les noirs pour distraire les blancs entre 1860 et 1902. Parce que le blues est né après l'esclavage, juste avant le début du siècle. Pourquoi ? Parce que c'est le seul moment où l'esclave a pu exprimer l'agonie, la douleur de son âme. Et il n'y avait pas de guitare ! La guitare est arrivée assez tard dans le blues. Le piano était là bien avant. C'est pourquoi j'y mettrai peut-être des os pour les rythmes, des instruments traditionnels. La guitare est devenue un boulet pour le blues. Plus personne n'écrit ! Tu vas dans un bar blues, qu'est-ce que tu entends ? Les mecs jouent du Muddy Waters, du Jimmy Reed. Mais personne ne sonne aussi bien que Jimmy Reed lui-même ! Personne ne sonne aussi bien que Muddy Waters ! J'en ai tellement marre de voir ces groupes de reprises faire Stormy Monday ou The Thrill Is Gone ! Parce qu'on n'écrit plus de blues, on tombe dans ces clichés de guitaristes, c'est devenu un stéréotype. Ils ne comprennent pas que ce n'est pas ça le blues. Alors je déconstruis, et il me faut aller au-delà de la guitare, parce que je suis un conteur, et que le blues est une histoire. Notre propre histoire racontée avec notre propre bouche. Ce n'est pas instrumental. Le blues instrumental, c'est du jazz !

"La pire chose qu'on puisse faire à quelqu'un, c'est de ne pas le voir. L'invisibilité."

LGDG : Tu es quelqu'un de doux, plutôt calme, humble, mais après t'avoir vu sur scène, après avoir écouté tes albums, et là, à t'écouter parler, tu sembles comme une espèce de prêcheur, même un prophète du blues, comme si tu étais investi d'une mission …

MMR : Je ne me donnerais pas le nom de prophète, mais oui , je suis en mission. Je ne suis pas le Sauveur du blues. Je suis patient. Très patient. Comme le dit Leroy Jones dans son livre Le Peuple du Blues, nous sommes le peuple du Blues, et j'espère que mon blues ira vers les gosses du hip hop qui n'écoutent pas de blues, pour leur dire : "C'est là-dessus que vous vous tenez", comme dans ma chanson "I stand on the shoulders of giants, they help me see so far ahead" (Je me tiens sur les épaules de géants, grâce à eux, je peux voir si loin). C'est très sérieux. On ne peut m'acheter, on ne peut me vendre. Je suis libre dans mon blues. Comme dans cette autre chanson, "Happy as a runaway slave" (Heureux comme un esclave évadé) parce que j'ai été libéré par le pouvoir du blues. Et je veux le rappeler à mon peuple, et plus particulièrement aux jeunes, parce que ce sont les blancs qui gardent le blues en vie ! Je vais à des concerts aux US ou en Europe : 80% du public est blanc. Dieu merci, ils adorent ça, c'est dans leur ADN aussi. Mais c'est important que les noirs y reviennent, parce que c'est la musique qui nous unit. Elle fait de nous des Américains. Vraiment. Sur la couverture du nouvel album, on me voit tenir un drapeau.

LGDG : C'est donc bien toi sur la photo. Je m'en doutais, ça te ressemble.

MMR : Oui, c'est moi à 2 ans. Penses-y un peu : c'est au milieu des années 40, dans le Sud, où les noirs n'avaient aucun droit. Pas de droits civiques, pas de Docteur King [NDLR : Martin Luther King]. Mes parents travaillaient tout l'été dans le Sud, en Arkansas, pendant les vacances. Et pourtant, ils voulaient être Américains. Ils m'ont fait tenir ce drapeau. Ça montre à quel point les noirs voulaient être intégrés. La pire chose qu'on puisse faire à quelqu'un, c'est de ne pas le voir. L'invisibilité. C'est nier son humanité. Les noirs ont toujours voulu être américains. Nous sommes plus américains que n'importe qui ! Nous sommes l'alpha et l'omega. Parce que nous avons dû totalement nous reconstruire. Comme un patchwork. Comme un gumbo. Nous avons dû prendre un peu d'Italien, d'Irlandais, de Français, d'Indien, pour nous refaire à neuf. C'est pourquoi nous sommes les Américains ultimes. Le pire qu'on puisse faire à quelqu'un, c'est de l'exclure. C'est pour ça que j'ai mis cette photo en couverture, avec ce regard. Red, White and Blues. C'est le blues. C'est triste, mais c'est une photo poignante, parce que ça me montre ce que pensaient mon père et ma mère. Je n'arrivais pas à sourire, j'étais un enfant très sérieux. Ils m'ont fait des grimaces, ils ont essayé de me faire rire, mais ils n'ont pas obtenu le moindre sourire. C'est peut-être pathétique de mettre cette photo sur l'album après 40 ans, mais je l'ai fait. Cette photo a été dans ma famille toute ma vie. Et ce petit garçon de couleur qui tient ce drapeau, ça me dit que le blues, et le peuple du blues, nous avons toujours voulu être américains. Et tant que le blues sera, il y aura des Afro-américains. Et notre musique fera le tour du monde parce que, pour moi, elle nous vient de Dieu.

LGDG : Tu dis que ce sont les blancs qui gardent le blues en vie. D'un côté, en tant que blanc, je suis fier de cette reconnaissance de la part d'un artiste comme toi, mais d'un autre côté, ne penses-tu pas qu'il y a là comme un problème ?

Mighty Mo Rodgers (photo Philippe Pretet, Ecaussinne 2001) MMR : OK. Je crois en Dieu, je crois en un pouvoir supérieur. Il y a deux choses : dans l'esclavage, il y a la victime, et il y a le bourreau. Du côté du bourreau, oui, l'Angleterre était impliquée, oui, la France était impliquée, oui, ces gens, pendant des centaines d'années, ont pratiqué l'esclavage, amenant ces Africains en Amérique pour la coloniser. Mais au bout du compte, il n'y a plus ni victime ni bourreau. Parce qu'en fin de compte, nous avons tous besoin d'être sauvés. Les blancs ont besoin du blues autant que moi. Ça te parle dans ton cœur, ça te parle dans ton ADN. Les blancs y sont attirés parce que tout le monde a le blues, nous avons tous le blues. Pourquoi ? Parce que nous devons mourir ! Comme l'a dit Jean-Paul Sartre. Et peu importe combien d'esclave tu as possédé, tu mourras, comme ces esclaves que tu as enterrés. J'ai une chanson sur l'album, DNA (ADN) où je parle de Thomas Jefferson. Il avait 200 esclaves, et il a écrit la constitution ! Un homme brave ! Sa compagne était une de ses esclaves - il l'a d'ailleurs emmenée avec lui ici, en France, quand il était ambassadeur - il a eu 3 enfants avec elle. Il a fallu 220 ans à la famille blanche des Jefferson pour admettre qu'il avait eu ces 3 enfants. Comment ? Grâce à l'ADN. Il y a 2 ans, en comparant l'ADN de ses descendants blancs et celui de ses descendants noirs, on a vu que ça correspondait. Qu'est-ce que ça signifie ? Que les noirs ont toujours voulu la légitimité. C'est de ça que parle la chanson. Bien sûr, à la fin je plaisante en tournant l'histoire contre moi, disant qu'à cause de l'ADN, le juge va me faire payer une pension alimentaire. Mais les gens passent à côté de l'aspect sérieux. C'est une chanson à plusieurs niveaux où je dis des choses différentes.

LGDG : Il y a cet autre titre, The boy who stole the blues (Le garçon qui a volé le blues) : tu ne mentionne jamais son nom, mais il est évident qu'il s'agit d'Elvis Presley. On ne saurait dire si c'est à lui que tu en veux ou au système dans lequel il s'est laissé prendre ?

MMR : C'est une métaphore. Elvis n'a rien volé. Il voulait sonner noir. Et avant qu'il ne devienne riche et célèbre grâce à RCA, il sonnait noir. Sam Phillips disait : "Si je pouvais trouver un jeune blanc qui sonne comme un noir, je pourrais faire fortune". Et qui passe la porte ? Ce jeune camionneur, Elvis Presley. Savait-il chanter ? Oui. Avait-il quelque chose de noir ? Bien sûr ! C'était un pauvre hillbilly, un pauvre blanc, ce qui signifie qu'il vivait au milieu des noirs ! Il allait à l'église avec les noirs ! Il adorait la musique noire ! Est-ce que tu sais à quel point c'était révolutionnaire dans les années 50 ? Mais il était intimidé par le colonel Parker, qui prenait 50% de son argent. 50% ! C'est énorme pour un manager ! Il le contrôlait totalement. Ses films étaient des navets, et après Hollywood, il a cessé d'être le révolutionnaire qu'il avait été. Quand il est parti pour l'armée, c'était fini. Avant ça, c'était un révolutionnaire. Est-ce que je lui en veux ? Non. Mais il n'était pas assez téméraire, pas assez libre, pour continuer à dire ce qu'il disait au début : j'aime la musique noire. Il avait ce bonus d'être un iconoclaste. Il aurait pu révolutionner le racisme en Amérique plus rapidement, avant l'arrivée du Docteur King. Mais il n'avait pas la ténacité, il n'était pas libre. C'était une victime. Je ne lui en veux pas, mais je suis triste à l'idée de ce qui aurait pu être. On m'a critiqué aux Etats Unis pour cette chanson. Il y a ce type qui aimait mon 1er album. Je l'ai rencontré à la House Of Blues, mais il n'a pas voulu me parler. Mais le blues, c'est la vérité. Je chante "Il a volé le blues et le blues le lui a fait payer". Tout ce que je dis, c'est qu'il a dû en payer le prix. Le blues a dit : "Ok, je t'ai fait ce cadeau, mais tu n'as pas joué le jeu, alors il faut payer maintenant". Quand les Beatles sont devenus célèbres, John Lennon a dit qu'ils devaient beaucoup à la musique noire. Il l'a dit. Quand les Stones sont allé à Chicago, ils sont allé chez Chess. Ils sont allés au Mur des Lamentations (Wailing Wall), ils sont allé au saint cri (Holy Howl). Elvis n'a jamais fait ça. C'est comme, pour un Chrétien, nier le judaïsme, nier que Jésus était juif. Pour Elvis, cela revient à nier qu'il a tout appris des noirs. Et c'est ce que je dis. Est-ce que ça va m'apporter la controverse ? Oui. Va-t-on me porter des coups pour ça ? Oui. Mais je suis prêt pour le défi. Si vous pensez que j'ai tort, débattons. Je pourrais écrire trois autres chansons sur ce sujet.

"Je veux rappeler l'héritage de la France, son histoire."

LGDG : Mo, une dernière question : as-tu déjà d'autres projets en route ?

MMR : Oui, j'ai déjà écrit 5 albums dans un cahier. Des concepts. Le prochain, si j'en ai le temps, je veux le faire ici à Paris. Ça s'appellera Black Paris Blues. Le sujet en sera Paris, la France, qui représentent la liberté pour les noirs américains. Demande à un noir américain où il voudrait aller, il ne répond jamais Rome ou Londres, c'est toujours Paris. Paris a toujours représenté la liberté, et ce malgré la participation de la France à l'esclavage, malgré ses colonies. Malgré tout ça, la France a une histoire de liberté, parfaitement légitime à la face du monde, comme un phare. Pourquoi Chester Himes, Luther Allison, Nina Simone, Tina Turner ont-ils voulu s'installer en France ? Je veux faire cet album, Black Paris Blues, et prendre le fantôme de Joséphine Baker, le sentir, et tout ce que ça représente. Je veux le faire ici, prendre 3 mois, amener mon ingénieur du son, avec une moitié de musiciens américains, l'autre moitié de musiciens français. Pour dire tout ça. Le bicentenaire de la prise de la Bastille, c'était il y a 8 ans, non ? Non, 13 ans ? Et c'est Jessie Norman, une noire américaine, qui a chanté la Marseillaise. C'est unique ! La France est unique en termes de liberté. Et qu'est-ce qui symbolise le plus la liberté sinon le blues ? Ce sont les gens les moins libres qui ont produit la musique la plus libre qui soit ! La France, en tant que pays, avec la prise de la Bastille et tout ce que ça signifie en termes de liberté, de fraternité, ce concept est dans le sol même, au cœur même de la France. Ça vient de Dieu ! Et je veux en parler, je veux rappeler l'héritage de la France, son histoire, et ce qu'elle est sensée faire, et ce qu'elle a fait, en tant que phare. C'est le blues, c'est le blues de la Bastille (Bastille Blues).

LGDG : Bastille Blues, c'est aussi le titre d'un album de Jean-Jacques [NDLR : Milteau].

MMR : Oui, il me l'a donné quand nous tournions ensemble. Et je veux aussi faire un album en Jamaïque que j'appellerai Island Blues. Je veux aussi en faire un en Afrique appelé Africana Blues. J'ai une dizaine de concepts comme ça en réserve. Et j'espère bien faire le prochain ici. Quant à mon dernier, j'espère qu'il recevra le même accueil que le 1er. Je l'ai dédié aux fans européens. Quand Soul Bag l'a eu, il m'ont appelé aux Etats-Unis pour me dire que c'était un super album et pour m'en demander 50 exemplaires [NDLR : pour le magasin Boogie, sans doute]. Jamais je n'aurais cru …. Et donc, je suis flatté que les Européens, et plus particulièrement les Français, aient capté ce que je faisais. Cette connexion, c'est une véritable symbiose, parce que la France, c'est la liberté. Et la liberté, c'est le blues. Il y a là quelque chose. Une chose à laquelle je veux rendre honneur dans mon 3ème album.

Propos recueillis par René Malines pour La Gazette de Greenwood, le 4 septembre 2002, à l'Holiday Inn de la Place de la République (Paris). Un grand merci à Yazid Manou qui nous a arrangé ce rendez-vous.

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interview

Big Ed Sullivan
la puissance...

date: 10 septembre 2002
de: Xavier Delta Blues <deltablues@wanadoo.fr>

Big Ed Sullivan est sorti des bas-fonds New Yorkais. Un mec sympa, un peu "énergie brute" sur scène, utilisant inlassablement les mêmes "gimmicks" depuis qu'il a compris que le public aimait cela, tout simplement...

Big Ed Sullivan Delta Blues : Les textes de tes chansons sont très " Underground ". Tu chantes souvent le Cauchemar Américain. Pourquoi cette orientation dans tes chansons?

Big Ed Sullivan : Cos' I like it !!! J'aime bien le côté sombre de la vie parfois. Oui, j'aime bien, je crois que ça m'amuse même... Les émotions qui se dégagent de certaines situations sont plus expressives que dans la normalité. Et puis, c'est une bonne source d'inspiration pour le Blues...

DB : Tu viens de la rue. J'ai vu que beaucoup de tes amis d'enfance étaient morts suite à la drogue ou aux guerres des gangs. La Musique fut réellement une thérapie pour toi ??

BES: Oui, sans aucun doute. La drogue, les gangs de rue... sans la musique, je ne sais pas ce que je serais devenu. La musique a été ma thérapie, elle m'a aidé énormément, oui..... Mais le Blues est la meilleure des thérapies !! Que le Blues. Le Blues est LA Musique !! Mais j'aime aussi les autres musiques américaines, Jump Blues, Country Blues, Country et Rockabilly et le Blues Rock Texan aussi....

DB : Un de tes meilleurs amis n'est autre que Brian Setzer des Stray Cats, et j'ai vu que tu jouais quelquefois avec la même vieille Gibson !!

BES: Oui, c'est vrai, mais je l'ai laissée à la maison (rires). Je la prend rarement sur la route. Elle coûte beaucoup trop cher !! Ce soir, je jouerai avec ma Telecaster.

DB : Tu as été un des membres des REBEL ROCKERS. C'était un groupe produit par Brian Setzer ??

BES: Non, Brian a essayé de nous aider pour la production. J'étais dans ce groupe avec son frère, Gary Setzer. Il était également batteur dans les Stray Cats. Le Rockabilly, pour eux, c'était la source. Moi, je préférais jouer du Blues. Mais on s'est bien amusé.....

DB : Au MANNY'S CAR WASH de New York, tu étais un des artistes les plus programmés. C'est là que Popa Chubby t'a " recruté " pour le New York City Blues Revue ??

BES: Je jouais là-bas tous les dimanches soirs. Ensuite, Popa Chubby est venu pour des Jam's Sessions. Il venait là régulièrement. Avec Popa, on a commencé à jouer, on s'amusait beaucoup toutes les semaines. C'était un endroit très "fun" où tellement de légendes ont joué - Junior Wells, Johnny Copeland, Luther Allison, et tant d'autres !! Pour moi, jouer sur cette scène, c'était vraiment un honneur. C'était incroyable de jouer après toutes ces personnalités du Blues, de fouler le même plancher....

DB: Merci Big Ed Sullivan...

Interview réalisée le 20 Mars 2002 au Bolegason à Castres (81).

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interview:

Arthur Neilson
... et la Finesse

date: 10 septembre 2002
de: Xavier Delta Blues <deltablues@wanadoo.fr>

Arthur Neilson, c'est La Classe ! Un jeu de guitare tout en finesse. D'ailleurs, ses participations avec Albert King, BB King ou encore Buddy Guy sont là pour en attester. Aujourd'hui, Arthur Neilson tourne beaucoup en tant que guitariste de Shemekia Copeland.

Arthur Neilson Delta Blues : Salut Arthur Neilson, je suis très heureux de faire ta connaissance. Tu joues du Blues et du Rock depuis près de 30 ans. Tu peux nous parler un peu de ta carrière ??

Arthur Neilson : Yes ! Je suis né et ai été élevé à New York. J'ai commencé à jouer de la guitare en 1967, sur une folk acoustique, et j'essayais de reproduire des mélodies de BB King ou d'Albert King. C'étaient mes premiers pas dans le Blues. A cette époque, personne ne jouait du Blues autour de moi, on me disait " Tu es fou de jouer du Blues ! Tu ne gagneras jamais le moindre dollar en jouant du Blues !! " Moi, je leur répondais : " Hey, c'est ce qui me rend heureux ! J'ai trouvé ma voie ! I'm making a good loving !! "

DB : Tu as joué avec James Cotton, Otis Rush, BB King, Buddy Guy, Albert King. Et maintenant, tu joues avec Shemekia Copeland. Que de personnalités du Blues ??!!!

AN : Oui, je me suis retrouvé sur scène avec James Cotton. Nous avons jammé ensemble. Whaou ! J'ai ouvert également pour BB King sur plusieurs de ses tournées, Albert King aussi, c'était incroyable !! J'ai également joué avec Ronnie Spector. En fait, j'ai souvent joué dans le " Backing Band " de plusieurs grands noms du Blues ou du Rock. Parfois, je faisais l'ouverture, parfois j'étais carrément dans le groupe. Pour moi, dans tous les cas, je resterai toujours très honoré d'avoir été sur les mêmes scènes que tous ces gens-là.

DB : L' album PIECE OF WOOD est assez varié. On y retrouve toutes sortes de dérivés du Blues : Rockabilly, Texas Blues, Jump. Quelles sont tes influences finalement ??

AN : En fait, j'ai essayé de créer un mélange de mes influences. Un peu de Blues, de Rockabilly, oui, c'est ça. Tu sais, mon influence majeure vient d'Albert King, comme je te le disais tout à l'heure. Il était pour moi le MEILLEUR du Blues. J'ai aussi beaucoup appris de BB King mais également de Chuck Berry et des Rolling Stones, pour mon côté un peu plus Rock N Roll…..

DB : Combien d'albums as-tu réalisés ??

AN : PIECE OF WOOD (NDLR : Distribué en France par Dixie Frog) est mon vrai premier album. Quand je suis retourné à New York, j'ai bossé plusieurs mois pour ce disque. En fait, j'avais travaillé ou j'apparaissais sur beaucoup d'albums d'autres artistes. Mais celui-là, c'est mon VRAI premier album! En février 2002, j'ai signé avec le label Dixie Frog, grâce à Popa Chubby. Mais sur le deuxième album de Shemekia Copeland, je fais la plupart des parties de guitare. J'avais aussi travaillé avec Cindy Lauper, dans un groupe qui s'appelait les " Blue Angels " sur le label Polydor, il y a 20 ans. Et puis j'ai aussi beaucoup enregistré comme musicien accompagnateur. C'était sur un label indépendant, à New York.

DB : Finalement, avec la carrière que tu as, tu n'as jamais pensé à être plus indépendant, et à te démarquer de l'empreinte Popa Chubby ??

AN : Je comprends ce que tu veux dire. Popa Chubby m'a aidé à sortir du milieu un peu fermé de New York. Il bosse pour chacun de nous ici (Big Ed Sullivan, Mason Casey) afin de nous procurer "un peu plus" de succès. Il nous amène également des tournées en Europe avec l'aide de Dixie Frog. Mais c'est clair que beaucoup m'ont posé la même question. Qui sait ? Si l'album marche bien, peut-être qu'effectivement, j'essaierai d'être plus indépendant. Mais pour le moment, je suis très heureux comme ça. Oui, ça marche bien comme ça…

Merci Arthur Neilson

Interview réalisée le 20 Mars 2002 au Bolegason à Castres (81).

Big Ed Sullivan et Arthur Neilson ont rejoint Mason Casey dans la New York City Blues Revue de Popa Chubby et sont distribués en France par le Label Dixie Frog.

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Willie King § The Liberators
Living In A New World

de: Phil "CatFish" <philpretet@aol.com>

En 2000, Willie King alors inconnu de ce côté-ci de l'Atlantique pour la grande majorité des amateurs de blues, réussissait une belle percée avec l'album "Freedom Creek" (Rooster 2642) Il récidive sur le même label avec ce nouvel opus qui est du même acabit. Ce natif du Mississippi (né en 1943) installé aujourd'hui en Alabama est un pur produit du Northwestern Alabama Blues. Sa musique down-home respire les rythmes funky-blues des juke-joints locaux. Profondément ancré dans la culture locale, Willie King participe activement à plusieurs projets éducatifs . C'est aussi un ardent défenseur des droits de la communauté noire américaine. Il a créé à cet effet à la fin des 70's une association d'entraide communautaire Rural Members Association. Le blues de Willie King est le reflet du quotidien des noirs du Sud profond. Sans esbrouffe ni fioritures. D'ailleurs, son quotidien qu'il retranscrit si bien dans ses textes l'a éloigné des aspects doctrinaires prônés par d'autres. "You talk about terror - I Been terrorized all my days" dit-il dans Terrorized. C'est pourquoi, la force poétique de ses textes fait merveille comme sur le titre éponyme de l'album ou dans le monologue final : the blues life.
Sa musique est enracinée dans ce décor frustre, mais ô combien envoûtant dans l'ombre des Howlin' Wolf, John Lee Hooker, et des autres bluesmen de cette région mythique. Le choix des Liberators qui l'accompagnent ne doit rien au hasard. Le second vocaliste, Willie Lee Halbert, colle à son leader, en écho. Il en résulte un duo particulièrement convaincant, qui n'est pas sans rappeler la tradition de ce blues idiomatique que l'on trouve à Memphis. Le guitariste Aaron "Hardhead" Hodge et le batteur Willie James Williams sont des vétérans rompus au groove et aux rythmes du Northern Mississippi qui connaissent sur le bout des doigts leur partition de sidemen. Henry Smith l'organiste et le très bon bassiste Robert Corbett méritent aussi d'être cités pour leur talent sobre et efficace. Bref, Willie King ne fait pas que raconter l'histoire secrète du blues. Il la vit. Sa modestie n'a d'égale que son talent, rare et brut. Sans hésitation.

ref CD: Willie King § The Liberators: Living In A New World - Rooster Blues records rob-cd-2647

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Lance & Donna
Long Gone

date: 22 septembre 2002
de: Stagg'O'Lee <stagolee@club-internet.fr>

Lance & Donna: Long Gone Les revoilà ! Lance & Donna, avec ce superbe CD Long Gone, enregistré Live à Cologne (Allemagne), nous donnent enfin de leurs nouvelles!

Car nos troubadours du blues ont continué leur route qui, partant de Nashville (Tennessee), les a menés dans toute l'Europe en passant notamment par la France. Chez nous, ils ont fait l'unanimité du public blues et ils ont séduit un public bien plus large tant leur musique est vivante et leur passion communicative.

Aujourd'hui, leur camping-car est donc basé en Allemagne et c'est au " Kaschämm " (Cologne) que cet enregistrement a eu lieu. Si le précédent CD (Travelin' Blues, voir LGDG n° 30) ne comportait que des reprises, celui-ci est constitué de 10 compositions sur 14 titres!

Les reprises sont époustouflantes, à commencer par le Candy Man de Mississippi John Hurt devenu un boogie endiablé (on s'éloigne donc pas mal de l'original. D'ailleurs, Lance n'a pas hésité à y ajouter des paroles), ou le Can't Stop Lovin' d'Elmore James aux grands coups de slide ravageurs.

Lance Harrison joue sur une Fine Reso-phonic Guitar, une lapsteel Gibson de 1938, ou sur sa célèbre guitare mexicaine à 42$, tandis que Donna Howley marque le tempo sur son non moins célèbre bâton de pluie. Et, fait nouveau, on entend cette dernière accompagner Lance au chant sur plusieurs titres.

Les compositions de Lance semblent être aussi intemporelles que les reprises déjà citées, auxquelles on peut ajouter un superbe I'm in the Mood for Love (John Lee Hooker) et un Long Distance Call (Muddy Waters) aussi authentique que l'original!

On peut donc, aujourd'hui encore, écrire des musiques et des textes typiquement blues roots… Ca peut sembler paradoxal, mais écoutez ce CD et vous comprendrez ce que je veux dire!

Satan ne veut pas voir Lance près de lui car il a peur de la concurrence… C'est ce que chante Lance dans Bad… Je ne sais pas s'il est vrai que les chats noirs n'osent pas traverser devant Lance, mais je sais qu'il est un champion pour la musique du diable!

Lance est vraiment habité par sa musique, et les sons qui sortent de sa gorge et de sa guitare (deux parties intégrantes de son corps) sont du pur blues, enivrant et fascinant.

Pas besoin de fioritures : une guitare (acoustique ou saturée), un bâton de pluie, une voix, et vous voilà transportés dans une ambiance qui ravira tous les amateurs de blues. Du poignant Last Night au guilleret Sugar, en passant par le puissant I Know Every Train ou par The Sun Will Shine, une composition pleine d'espoir, rien n'est à jeter dans ce disque.

Réf CD : Long Gone, Lance & Donna, Schubert Records, 2002

le site de Lance & Donna: http://www.lance-n-donna.com/

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Trafic de Blues

DOSSIER LMB 001
Trafic de Blues

date: 27 septembre 2002
de: Poill's <apoillot@wanadoo.fr>

Les boîtes à lettres, c'est fait pour servir, tout le monde sait ça… La mienne, en plus du rôle particulièrement important de mirador à repérer les boots, sert aussi parfois tout simplement à recevoir du courrier… Et il arrive, mais c'est rare, que ce courrier recèle de bonnes surprises. Ce fut le cas en ce riant jour de septembre 2002. Ma fille, qui tourne en rond dans la maison car la rentrée n'a pas encore eu lieu pour cause de grève, se fait un plaisir de m'amener le contenu de ladite boîte à lettres, et revient en me disant avec un grand et lumineux sourire :

- Papa, tu aimerais une bonne surprise ?
- Oui, lui réponds-je, car je sais que plusieurs bootlegs devraient traverser sans regarder ces jours-ci…

Et là, c'est une véritable surprise! Un CD, comme plus ou moins prévu, mais pas un bootleg… Bizarre autant qu'étrange!

J'ignorais que j'allais plonger, à l'insu de mon plein gré, dans un univers glauque de commissariat empuanti par la sueur, les mégots et le café froid, sur les traces d'un intermittent mais néanmoins actif… Autant vous le dire tout de suite, le dossier que j'ouvre est plutôt peu fourni en indices, malgré une lettre anonyme classique en caractères de journaux découpés, des feuilles de carnet arrachées, porteuses de commentaires pour le moins sibyllins, et d'un vague historique des quatre dernières années… L'ambiance est posée, on s'attend à entendre du middle jazz, voire du sax enfumé accroché à une contrebasse… Eh non : perdu! Voilà un bon Band, cuivré à souhait, une rythmique impeccable, un groupe, un vrai, qui semble compter davantage que la performance individuelle, même si, inévitablement, certains instruments sont plus en avant que d'autres : harmonica et guitares, pour ne pas les citer…

Et ça tourne, ça, on peut le dire, avec un son ma foi sympathique, malgré une petite réticence toute personnelle, je vous dirai plus tard… Beaucoup de shuffles dans tout ça, on navigue à la limite du Jazz, malgré une orientation carrément Blues de toutes les compositions… Car ce sont des compositions, pas des reprises, que ce soit en studio ou sur scène. En effet, ce petit CD (34 mn) fort sympathique comporte les deux types d'enregistrement. 4 studios, 2 live… Steady b (6'35), Bad Luck Soul (4'40), Tribute To The Kings (5'32), From St-Denis (5'08), Sweet Swing (4'11), Time To Funk (5'31).

Pour le dernier, Time To Funk, il y a une ruse, mais dois-je la dévoiler? Allez, un indice, puisqu'on est dans l'ambiance polar, pensez très fort à "Sa Majesté qu'est une bien belle gamine que je me ferais bien un jour, si je suis assez bourré…".

Comment dire ça ? Ceux qui parmi vous connaissent Kilimandjaro trouveront dans cette galette la même pêche, pratiquement le même son, le même funk, dirai-je. Ce que j'en pense au fond de moi-même? J'aime bien From St-Denis, du très bon Chicago, guitares juste comme il faut, riffs simples mais efficaces de l'harmo, rythmique en béton. La Wah-Wah, d'habitude, je n'aime pas beaucoup. Mais ici, elle ne s'épand pas trop, elle reste simple…

Je ne vais pas entrer dans le détail des morceaux mais simplement dire que j'aime bien les percus dans les deux premiers, que Tribute To The Kings me plaît beaucoup, même si d'aucuns peuvent le trouver limite vieux R 'n' R. Par contre, je regrette un peu que tous les tempos soient médiums ou rapides… J'aurais assez aimé entendre les harmonica et guitare s'exprimer sur un bon vieux seize mesures bien lent, ainsi d'ailleurs que les cuivres C'est, après tout, ce type de morceau qui permet de bien se caler dans le groove…

Mais en fait, cela m'amène surtout à dire que ce qui manque principalement à ce groupe (et qui lui permettrait d'aborder plus facilement les Slow-Blues), c'est un chanteur. Peut-être est-ce ce qui fait plus pencher ce CD vers l'étiquette Jazz que Blues, en fait. Même si on sent un effort pour entraîner le public dans la musique, dans ce qui a été enregistré live, un chant serait réellement bienvenu. Bon, je vais peut-être dire une énormité, mais j'ai comme l'impression que la volonté de faire un orchestre sans trop de mise en avant d'egos a présidé à l'élaboration de cette galette… Le but est atteint.

Si j'osais, je dirais à Trafic de Blues de proposer ses services à de bons chanteurs, voire même se proposer comme sidemen pour des tournées d'américains : ils en ont largement la capacité…

Pour tout dire, je trouve le groupe très bon, j'ai bien aimé le délire de la pochette, même si quelques indications plus précises sur les musiciens auraient été les bienvenues (toujours ce profil bas vis à vis de l'ego?), leurs noms, par exemple. Et la petite réticence dont je parlais plus haut. Le son studio est un peu trop propre, numérique, mais ça, c'est vraiment affaire de goût personnel. Allez-y, les mecs, continuez comme ça, c'est très bien parti…

réf CD: Trafic de Blues : Fin de Cavale
Contact : Les Mains Bleues 06 14 37 60 73
le site internet: www.traficdeblues.fr.st

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Steve Verbeke
Montreuil Boogaloo

date: 3 octobre 2002
de: Stagolee <stagolee@club-internet.fr>

Saviez-vous qu'il y a des bayous du côté de Montreuil ?
Je ne le savais pas non plus et je n'en ai pas la preuve formelle, mais cela paraît évident à l'écoute de Montreuil Boogaloo: Steve Verbeke a pataugé dans les marais dès son plus jeune âge.

Car à 26 ans, Steve nous propose un CD qui est une vraie réussite, imbibée de l'esprit du swamp blues de Jimmy Reed, de Slim Harpo ou de Lazy Lester.

L'influence de Benoît Blue Boy, par ailleurs réalisateur artistique du disque, est palpable, mais il s'agit bien d'un disque qui nous permet de découvrir (honte à moi, je ne connais pas son premier CD) un Steve Verbeke à la forte personnalité, au-delà de ses prestations scéniques déjà prometteuses : un personnage avec lequel le paysage bluesistique français devra compter.

A l'harmonica, Steve Verbeke a déjà cette force des plus grands : ne pas trop en faire. Il sait parfaitement doser ses interventions pour nous tisser des mélopées qui font mouche à tous les coups. Au chant, il nous sert des textes en français avec des intonations personnelles qui font " chanter " les paroles, même si parfois il en fait un peu trop ! Humour, joies et peines, on est bien dans le registre du blues.

La rythmique et l'accompagnement de son équipe de musiciens de choc sont sans faille : Stan Noubard Pacha (g), Fabrice Millérioux (dr), Cédric Lesouquet (b), Anthony Stelmaszack (g), Lenny Lafargue (g. ac.), et Benoît Blue Boy à la guitare! Dans le genre équipe de rêve, ce n'est pas mal!

Des compositions, des reprises de BBB, des blues lents, des shuffles au tempo medium ou rapide et un titre acoustique : pas de temps morts à l'écoute de ce disque qui va faire danser dans les chaumières.

Le seul bémol vient de la reprise du Poinçonneur des Lilas, titre dont on se demande un peu ce qu'il fait là. Non pas que cette interprétation ne soit pas intéressante, mais elle " casse " un peu l'unité du disque (je sais qu'on va me dire que je n'ai rien compris, etc, mais bon.).

Tout le reste forme un tout, et les morceaux s'enchaînent sans jamais lasser l'auditeur. On verrait bien quelques titres devenir des " hits " qui passeraient sur les ondes généralistes, histoire de mettre un peu de notes bleues dans les conduits auditifs de consommateurs médusés qui s'exclameraient : "Ouah, c'est bien ça! C'est un nouveau style? C'est quoi?". En attendant, on écoutera nos émissions de radio préférées (voir la liste sur LGDG) où on entendra sûrement abondamment Steve Verbeke, tant ce disque devrait faire date.

Ref CD : Montreuil Boogaloo, Steve Verbeke, 2002, Magic Blues / Night & Day

sites internet: verbekesteve.free.fr/ et www.magicblues.com/pverbeke/page_steve.htm

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Soto Blues Band
Blues Hecho En Venezuela

date: 25 septembre 2002
de: Poill's <apoillot@wanadoo.fr>

Vous, je ne sais pas, mais personnellement, je ne me suis jamais vraiment intéressé au Blues dans les pays sud-américains, même si ce sont des voisins (presque) proches. Et voilà-t-il pas qu'au hasard de mes pérégrinations virtuelles, je tombe sur un type qui propose du Keith Richards en bootleg. Sautant sur l'occasion, je lui propose illico un trade avec mon CD. Las, le rusé, sautant sur la perche que je lui tendais bien malgré moi, me dit dans un anglais plus qu'approximatif qu'il produit un groupe de Blues vénézuélien, et que, si je veux, il peut m'envoyer leur galette. Pensant à un bonus en plus de Riffhard, je réponds distraitement oui, peu convaincu de la validité d'un groupe de Blues dans ce charmant pays producteur de pétrole. Eh non, après avoir envoyé mon disque plus une compil de Blues Französisch, je reçois un paquet provenant du Vénézuéla, qui ne contient que le groupe de Blues en question. Un peu déçu, car ce genre de plan n'arrive que rarement, recevoir moins que ce que l'on envoie, je mets tout de même le CD dans la platine, et là : LA BAFFE !

Un son gros comme ça, des interventions de guitares nerveuses et toujours bienvenues tout en restant surprenantes. Un harmonica de qualité, de la slide juteuse, un chant rigolo avec l'accent hispano-américain, mais bien posé, une brochette de reprises toutes aussi bonnes les unes que les autres ! Le pied, quoâ !

Une super setlist : I'm your Hoochie Coochie Man, Big Boss Man, Little Red Rooster, It Hurts Me Too, Tribute To Muddy Waters And Jimi Hendrix, Midnight Rambler, The Sky Is Crying, Pride And Joy, Trouble No More, Mr. Blues, Rock Me Baby, Sweet Home Chicago, Your Blues My Sweet Little baby, Jimmy's Rambler Blues

De quoi se pourlécher les babines, isn't it ? Et surtout, à l'écoute, une production (dans tous les sens du terme) de qualité. Super son ( même si c'est du numérique, ce qui enlève de la chaleur humaine, mais passons…) . Hoochie Coochie - Je ne sais plus dans quelle critique de "Aimeïz vous le blues ce soir?" je parlais du riff de ce morceau qui, trop souvent, ressemble plus à mi-sol-mi-sol-la qu'à do-ré-mi-do-la. Mais ici, le riff, c'est les deux à la fois, pas à la manière de Muddy, plus teigneux électrique, avec des réponses guitare à la Wah Wah dès les premières notes ( ça surprend, mais on s'y fait vite ). Une voix à l'accent indéfinissable, mais bien posée, un peu rauque, un peu de tête. Et manifestement, le chanteur, qui n'est autre que l'harmoniciste leader du groupe, Eduardo Soto, comprend ce qu'il chante, ce qui fait plaisir… Je ne vous ferai pas l'affront de décrire le morceau, tout le monde le connaît. En tout cas, ça démarre fort… Et c'est pour mieux continuer, mon enfant…

Big Boss Man, une version un peu speed, mais tout à fait dans l'esprit des paroles… Je ne sais pas si vous connaissez celle qu'en avait faite le Grateful Dead il y a de ça longtemps, et celle de Jerry Lee Lewis dans ses London Sessions, mais disons que celle du SBB (vous permettez que je les appelle SBB, n'est ce pas ?) a retenu le meilleur des deux. Ca vous écrase, tout en allant vite.

Et on arrive à celui qui m'a le plus surpris de tout le CD, Little Red Rooster. Et là, on comprend que c'est vraiment du sérieux, car cette reprise est incroyable, excellente, et tout ça… D'abord, on se débarrasse du vieux riff immortalisé par les London Sessions du Wolf ( et repris sans vergogne par BBB dans Les nuages sont déjà tombés, Benoît, si tu nous écoutes… ), on accélère la cadence, et la magie des bonnes reprises bien personnalisées opère. Un peu comme pour le traitement par Joe Cocker et le Grease band de With A Little Help from My Friends, si vous voyez ce que je veux dire. Ce n'est plus le même morceau, tout en le restant. A qui ne parle pas anglais, et donc ne pourrait reconnaître les paroles, je souhaite bien du plaisir pour deviner le titre… Et pourtant, on reste dans l'esprit de Willie Dixon, véritablement du grand art…

Une version de It Hurts Me Too qui n'a rien à envier à celle de Clapton dans From The Cradle. Même raucité de la guitare, surtout… Nous arrivons à un Tribute To Muddy Waters And Jimi Hendrix qui ne me plaît que moyennement. C'est surtout (à mon humble avis) un exercice de style dont on aurait pu se passer facilement. Ces types n'ont rien à prouver avec ce genre de morceau. Il suffit d'écouter le reste du disque pour s'apercevoir qu'ils sont tombés dedans quand ils étaient tout petits ! Et là, je me régale, car non contents de jouer très bien le Blues et d'une manière très personnelle, ils osent faire un truc qui fait bondir les puristes et jubiler les gens comme moi : ils reprennent un Stones! Et pas n'importe lequel, s'il vous plaît, une compo de la grande époque, avec plein de vrais morceaux d'harmonica dedans, que même jagger qui pourtant l'a composé peut aller se coucher. Et pis toc ! Marrant, d'ailleurs, car cette version assez courte (4'39), paraît aussi longue que celle de Get your Ya-yas Out et est en tout cas aussi riche musicalement… Et tant qu'on y est de reprendre du pas vraiment noir, ces braves gens enchaînent sur The Sky Is Crying et Pride And Joy, l'inévitable clin d'œil au regretté Stevie. Je suis un gros hypocrite en disant ça, je n'aime pas vraiment ce que faisait ce type, plus rock et lourdingue que Blues, sauf peut-être dans Tin Pan Alley. Mais bon, on n'est pas là pour parler de lui… Tout ça tourne très bien, surtout Pride & Joy, très enlevé et un peu allégé par rapport à la lourdeur de SRV. La voix un peu faible, peut-être, sur The Sky… comme d'ailleurs sur le morceau suivant, Trouble No More, mais rien de bien gênant… Tout ça reste très bon.

Vient ensuite Mr. Blues, version instrumentale d'une composition d'Eduardo Soto himself. Très classique, rien à dire, suivie d'un Rock Me Baby un peu funkysant, assez rafraîchissant ma foi… Suit l'inévitable Sweet home Chicago, avec le break style BB, mais bien plus rapide, ce qui amène un sang neuf au morceau…

Et le disque se termine sur deux compositions : l'une d'Eduardo et de Jimmy Daly, le producteur, et l'autre du groupe entier. Your Blues My Sweet Little Baby, avec plein de piano, une espèce de suite Blues très courte, et Jimmy's Rambler Blues, un bon shuffle bien entraînant qui laisse à tout le monde (enfin surtout à l'harmonica) la possibilité de s'exprimer… Un disque excellent, donc, mais je ne sais pas trop comment le faire parvenir en France. Je vais essayer de monter un plan avec le producteur, que vous puissiez l'avoir hors circuits officiels, mais sans les arnaquer. Ca doit pouvoir se faire… Ah oui, j'oubliais! La pochette… Eh bien, je vous la scanne, mais malheureusement, s'il y a des hispanophones parmi vous, j'ai peur que le texte passe mal… Enfin, il est aussi traduit en anglais…

Résumons-nous : Un disque de très très bonne facture (quoique numérique!), d'excellents musiciens qui ont tout compris au Blues, un producteur qui fait corps avec eux et une pochette superbe. Il faut vraiment que je trouve un truc pour que vous puissiez vous le procurer : je vous promets que vous ne serez pas déçus…

contact: bittales@cantv.net

pour avoir le CD: P.O. Box 60339, Caracas 1060, Venezuela (10 US$ plus 3 US$ pour expédition)

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Louise & Anne
Pur Marvellous!

date: 7 septembre 2002
de: Xavier Delta Blues <deltablues@wanadoo.fr>

Marvellous Pig Noise L'album N° 3 des Marvellous Pig Noise est arrivé :-) Quel pied!

Louise & Anne, le titre éponyme de l'album a été remixé par rapport à la version du mini CD 4 titres, façon concerts des MPN. Comme ils me l'avaient dit lors de l'interview du mois de mars dernier, il y a la reprise du Révérend Gary Davis Great Change et une cover du traditionnel Nobody Knows. Tout le reste, ce sont des créations "Pur Marvellous" !

Mais, on reparle de l'album tout à l'heure. Attardons-nous sur la pochette ! Magnifique, avec un verso gros plan sur le washboard de Jean Brice Vietri, sans oublier les dés à coudre et les fameux gants rouges. A l'intérieur, un livret 12 pages avec les paroles et des dessins de la Louisiane réalisés par Jean Michel Renda. Ce livret est un hymne à la Louisiane. Les dessins sont d'une beauté hallucinante!

Je me souviens que Pierre Cisterne me disait en mars dernier : "Il nous reste la pochette à réaliser, on est à sec, plus de pognon, je sais pas trop comment on va faire. Mais dans le Blues on est débrouillards..." Effectivement, ils se sont bien débrouillés, le résultat est génial!

Bon, musique maintenant : ceux qui les suivent en concert depuis quelques mois n'auront pas de surprises sur 5 titres (Louise & Anne, Toujours du Bon Côté, La Mama, Great Change et Un Quart de Seconde). Par contre, le reste de l'album nous emmène dans la Louisiane profonde. Pleur' Pas Julie, avec cette ritournelle Cajun, est fabuleux (pardon, fabulous!), Mother Earth et J'avoue qu'ça m'donne du mal, deux putains de Blues que je ne les avais pas encore entendu jouer sur scène, et l'album se termine sur un gospel à la façon des Blind Boys Of Alabama, Nobody Knows, la fameuse reprise du traditionnel dont je parlais plus haut.

Musicalement, rien à dire, c'est vraiment le pied. 14 titres, enfin non, 12 exactement, si on considère les 2 fins de Great Change et Un Quart de Seconde qui ont été "découpées". Je reconnais que mon avis est certainement partial, vu que je les vois régulièrement en concert et que mon amour des Marvellous est entier. Mais quand même! Comment ne pas aimer les Marvellous Pig Noise, à partir du jour où on les a vus en live? Ces mecs-là, comme disait un chanteur français, c'est de la drogue, du gardenal!

Bref, vous l'aurez compris, maintenant que Louise & Anne est sorti, précipitez-vous sur leur site web www.marvellouspignoise.com ou contactez Monique Ewanje-Epée, et procurez-vous cet album, assurément un des meilleurs de cette rentrée. Il devrait être distribué d'ici peu dans les bacs de vos fournisseurs de "galettes" favoris.

Bon, je vais arrêter là, car je m'emporte. Mais quand même... Les Marvellous!! Quel bon week-end je vais passer!

Merci les Marvellous de remercier nos chroniqueurs de la Gazette et de la Chaîne du Blues dans votre livret, René Malines, Mike Lécuyer et tous les autres...

"La Musique est comme la Peinture,
Un langage très ancien, universel et résolument libre ....."

(Extrait du livret)

site internet: www.marvellouspignoise.com

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Paul Reddick + the Sidemen

date: 19 septembre 2002
de: Benoît Felten <ben@planetharmonica.com>

Paul reddick + the sidemen Décidément, le responsable du rayon blues de la FNAC Montparnasse a soit la patte chanceuse, soit un goût très sûr pour les nouvelles sorties obscures mais intéressantes. Après avoir, il y a quelques mois, trouvé là-bas le disque de Kevin Brown Mojavé Dust [voir LGDG n°44] dont j'ai dit dans ces pages tout le bien que je pensais, j'y suis retourné un peu par hasard, pour tuer le temps, juste avant mon départ en vacances cet été. Là, bien en évidence (et non moins en écoute), je vois un disque à la pochette sobre qui représente une valise en tweed sur un quai de gare. Unique inscription : "paul reddick + the sidemen", tout en minuscules.

Je me dis : "La valise en tweed, c'est un truc d'harmoniciste ça". Je prends le casque et je mets le premier morceau. Quelques harmonies à plusieurs voix, un truc qui rappelle du doo wop mais en plus sombre. Pas désagréable, mais me serais-je trompé? Je passe au second morceau. Riff de guitare un peu rauque, répétitif, sale batterie qui rentre, et puis le voilà, l'harmo. Ca pulse, pas de virtuosité gratuite, une rythmique bien tranchante, bien gritty comme disent les Anglo-Saxons. Ca me fait tout de suite penser au "Wolf". Un petit passage en revue des intros du reste du disque, et je suis parti pour la caisse.

Sorti du magasin, je me dirige vers le métro pour réintégrer mes pénates, le disque dans la mallette. Mais ça me démange trop. Au feu, j'ai déjà sorti la jaquette pour la feuilleter en marchant vers la station. Pas beaucoup de tchatche, mais je remarque quelques trucs : "Produced by Colin Linden". C'est pas un joueur de slide connu, lui ? En tout cas, le nom me dit quelque chose. Je note aussi un hard blues for modern times prometteur et quelques extraits de paroles mis en avant et assez intrigants. Genre poétique un peu sombre.

Bref, une fois assis dans la rame de la ligne 4, je n'y tiens plus. Je sors le lecteur CD de la mallette, et j'y insère la galette. Je me refais l'étrange morceau de doo wop (qui, il s'avère, s'appelle PR Jubilee) finalement assez sympa, et puis je me délecte de la suite. Vraiment. Sleepy John Estes, le morceau suivant, est à la hauteur des trente secondes entendues à la FNAC: rauque, rugueux, des paroles étranges et poétiques, en tout cas pas narratives pour un sou, ça nous change des highway aux numéros improbables et autres clones de Cadillac qui font malheureusement la pluie et le beau temps dans l'écriture récente du blues US, pour autant qu'on puisse appeler ça de l'écriture.

Paul Reddick a une bonne voix, un peu à l'arrachée, et il est admirablement porté par un groupe à la rythmique impeccable mais suffisamment souple pour laisser flotter par moments. Bref, tout ce que j'aime. L'harmo est super. Il n'y en a pas de trop, et il est rarement, voire jamais, utilisé pour des solos à rallonge, ce qui n'empêche pas que le bonhomme se débrouille carrément avec. Petite touche de modernité, une utilisation intelligente mais pas excessive des moyens du studio : sur King of the Zig-Zag, la batterie attaque très étouffée, comme à travers un mur, en soutien du riff d'harmo. Puis, avec le reste du groupe, elle rejoint son intensité normale. Super intro ! Sur Pinegum, la batterie adopte une rythmique groovy soutenue par une guitare funky. Malgré ça, c'est bien du blues. For modern times !

Après quelques morceaux, le style assez pêchu laisse place à des morceaux plus acoustiques, très sobrement interprétés, que le "fameu " Colin Linden (je sais toujours pas où j'ai entendu parler de ce gars là) vient décorer de son jeu de slide très tasty. Superbe blues lent, très moody, avec slide et Hammond. Ca s'appelle Dreamin', dreamin' et on s'y croirait. Un peu plus tard, l'énergie reprend le dessus : deux morceaux d'enfer, un Scufflewood et un Rattlebag éponyme. Le disque se termine sur les chapeaux de roues.

16 titres et pas grand chose à jeter. Décidément, que j'me dis, deux nouvelles sorties blues que j'apprécie en moins d'un an ! C'est la révolution dans le monde bleu ou quoi ?

Tiens, j'ai raté ma station.

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Inspiration
22 Great Harmonica Performances

date: 29 septembre 2002
de: Pierrot Mississippi Mercier <mississippi@wanadoo.fr>

Jean-Jacques Milteau nous avait déjà fait découvrir, à travers ses différents albums, bien des musiques.

Si son dernier disque personnel (Memphis, voir LGDG n°35) est très orienté soul-blues, ses productions précédentes étaient beaucoup plus éclectiques. On se souviendra par exemple de Bastille Blues (voir LGDG n°13), chroniqué ici, qui, malgré son titre, n'était pas seulement Blues mais déjà parsemé d'influences celtiques, jazzy, musette et j'en passe. Ou du précédent Routes avec, entre autres, l'incantatoire et superbe Soweto.

En fait, à part l'album Live (initialement simple puis réédité récemment en double), les œuvres de JJ Milteau sont difficilement classables dans le Blues stricto sensu. [Sauf si, en dehors des gammes et des rythmes, le Blues est affaire de sentiment, auquel cas peu nous importe la langue ou la forme musicale - mais c'est un autre débat.] Je parle ici de l'œuvre discographique car le répertoire scénique de Jean-Jacques, même s'il offre souvent l'occasion de détours intéressants, est quand même principalement consacré à notre musique favorite. [On voit mal d'ailleurs comment un concert de musique inclassable pourrait attirer, a priori, un public. Mais ceci est encore un autre débat : faut-il être captif d'un genre ? ]

Tout ça pour vous dire que Milteau étant 'forcément' synonyme de Blues, ce disque se trouvera généralement au rayon Blues de votre disquaire favori .

22 titres pour autant d'interprètes, de styles, de techniques. On ira, tour à tour, de l'univers de Toots Tielemans (jouant du Satie sur un chromatique) à celui de Sonny Terry (et ses 'whoppee'), d'Olivier Ker Ourio (Sous le Ciel de Paris) à la famille Murphy (dans leur juke-joint du coté de Ballyshanon) -après un détour par le Chicago très rock du J.Geils Band. On aura droit a des raccourcis saisissants comme ce saut entre les gammes réellement décalées d'Eric Chafer au son totalement roots de Robert Lee Mc Coy (aka Robert Nighthawk). C'est d'ailleurs cette transition, ce 'passage' que je préfère dans ce disque : difficile de trouver plus contrasté et pourtant... ça raccorde : il n'y a d'ailleurs pas de silence entre les deux morceaux et, à mon avis, c'est totalement délibéré.

Je ne vais pas faire la liste de tous les artistes présentés ici. Je mentionnerai seulement Larry Adler que je ne connaissais pas du tout - je dois reconnaître, après l'avoir entendu ici avec Django Reinhardt, que c'était une grosse lacune.

C'est donc à la (re)- découverte de ses sources d'inspiration que Jean-Jacques nous convie aujourd'hui. Il est d'ailleurs amusant, en écoutant les différents morceaux présentés, d'essayer de se rappeler tel ou tel enregistrement de sa discographie propre et de déceler ce qu'il a pu en extraire. Pour certains, je n'ai pas trouvé mais c'est peut-être qu'il ne nous en pas encore offert sa vision. Cela viendra un jour, ou bien ce seront d'autres avatars de l'harmonica qu'il nous fera découvrir.

Evidemment, on ne peut espérer résumer toute la richesse de cet instrument en un seul disque, même si les grands maîtres, comme il les appelle, sont bien présents. Rien que dans ceux qui nous sont familiers, je citerai, en plus de ceux déjà mentionnés, Walter Horton, Sonny Boy, James Cotton et Little Walter (l'absence de Paul Butterfield m'étonne un peu - vous en trouverez d'autres sûrement, mais il fallait bien choisir).

Une superbe présentation, un magnifique livret bilingue de 20 pages passionnantes (*) pour connaître un peu plus l'histoire de l'harmonica et surtout des harmonicistes aux talents si variés. C'est chaleureux, sensible et intelligent, bref, c'est un disque indispensable.

Pour en savoir plus, bien évidemment : jjmilteau.free.fr .Les harmonicistes parmi vous en ont sûrement déjà fait le tour mais les autres instrumentistes et/ou les simples amateurs de musique devraient absolument y jeter un œil et une paire d'oreilles.

(*) Voir aussi la page que Benoît Felten a consacrée à ce disque sur Planet Harmonica: www.planetharmonica.com
(**) Et en plus, c'est pas cher - 11 €, comme quoi quand on veut...

de: Phil "CatFish" <philpretet@aol.com>

"Born in the country, raised on a ghetto street". Ce vers de BB King résume à lui seul l'histoire de l'harmonica. Cette compilation que l'on doit à l'harmoniciste JJ Milteau est le reflet de la richesse artistique et de l'imaginaire d'un homme hypersensible qui sait aussi transmettre des valeurs humanistes profondes. Indépendamment des problèmes de droit et d'autorisation qui ont manifestement bridé le choix éditorial, la sélection de JJ Milteau est judicieuse car elle suggère de sortir des sentiers battus et ouvre des perspectives fabuleuses aux nombreux amateurs et joueurs de French Harp. Le choix éclectique de cette compilation ravira ceux qui sont à la recherche du souffle de l'âme, au-delà des étiquettes et des styles.
Invitation à savourer l'hypnotique et saisissant Sonny Terry dans une version époustouflante de Lost John, la musicalité de Stevie Wonder, l'ambiance unique de Toots Thielemans dans le superbe Gymnopedie N° 1, ou l'hypersensibilité d'un Sonny Boy Williamson dans une version de Trust My Baby qu'affectionne particulièrement JJ Milteau. Bref, tout le disque est à l'unisson. Un achat recommandé

NDLR : notre ami greenwoodien et excellent harmoniciste Ben Felten a ouvert un débat opportun et inédit concernant l'harmoniciste du titre My Driving Wheel de Robert Lee McCoy (Robert Nighthawk) enregistré en 1939. Il est vrai qu'après une écoute attentive, on a de quoi être troublé par la ressemblance frappante du jeu mâtiné jazzy en première position mineure du musicien jouant avec R. Nighthawk avec celui d'un harmoniciste obscur de Chicago Rhythm Willie. Ce dernier a enregistré quelques titres avec Peetie Wheastraw au diatonique et ,à notre connaissance, quatre autres titres fascinants sous son nom en 1940 réédités par le label Wolf. (WSE Harmonica Blues 106 cd). Gageons que Ben Felten pourra lever le voile sur ce mystérieux harmoniciste particulièrement novateur pour l'époque qui mériterait de sortir de l'ombre.

ref CD: Inspiration: 22 Great Harmonica Performances, Universal 084 371-2

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Est-ce que vous Aimeïz le Blues ce soir?

Muddy Waters
à Boston

date: 15 septembre 2002
de: Poill's <apoillot@wanadoo.fr>

Vous, je ne sais pas, mais personnellement, il m'arrive souvent d'acheter "les yeux fermés". C'est un peu ce qui s'est produit pour ce Bootleg, tout en sachant, bien sûr, qu'on ne paye pas un Boot : c'est toujours un pote qui vous en fait profiter. Il fallait que ce fût dit.

Dans la dernière édition, je vous parlais de Muddy Waters à Montreux (voir LGDG n°45). On prend le même et on recommence. Mais cette fois ci, deux ans auparavant, aux States, à Boston pour être précis, et donc en 74. Malheureusement, le pote qui m'a procuré ce CD n'avait que la setlist, et pas les crédits musiciens. Donc, les appréciations de chacun sont, vous vous en doutez, assez approximatives. J'ai beau jouer depuis plus de vingt ans, d'oreille, en essayant de choper les plans quand ils ne traversent pas trop vite devant moi, j'ai encore du mal à reconnaître les musiciens à la feuille. Enfin, bien sûr, certains ont des signatures inimitables, comme Harvey Mandel, Johnny Winter, Keith Richards, entre autres, mais en général, il est difficile de dire qui fait quoi en live, quand on veut parler des interventions des "rythmiques". D'ailleurs, quand j'étais petit, je bavais devant les articles de Best ou Rock & Folk, quand les journalistes parlaient des interventions de Untel à la Xème mesure. Ce n'est que plus tard que je me suis rendu compte que la moitié du temps, ils se plantaient… Mais c'est une autre histoire…

En tout cas, par rapport à Muddy à Montreux, ça sonne nettement plus rough, moins coulant, plus sincère, je trouve. Est-ce que cela vient du fait que c'est aux States, devant son public, plutôt que devant le public professionnel du Casino ? Ou bien les petites cigarettes d'herbe suisse, dopées au Fendant ? Toujours est-il que ce disque-ci nous permet de retrouver un Muddy en grande forme, nettement moins aseptisé que dans la confédération…

La gamine est au collège, le gamin à l'école, me v'là seul dans la maison, c'est parti… Première remarque, qui saute aux yeux dès que l'on ouvre la boîte, contrairement à celui de Montreux, celui ci est un simple, mais quel simple ! 68'19 , mixé comme du matériel pro, pas d'applaudissements qui s'éternisent entre les morceaux. Peut-être une certaine irrégularité dans la puissance de la voix, mais j'ai déjà entendu pire dans du matos commercialisé, comme par exemple Mayall dans le double "Rock The Blues Tonight". J'ai beau être fan, je n'arrive pas à l'écouter. Mais je m'égare…

Setlist : Blow Wind Blow, Howlin' Wolf, Can't Get No Grindin', Trouble No More, Hoochie Coochie Man, Baby Please Don't Go, Mannish Boy, Everything's Gonna Be Alright, Got My Mojo Workin', Honky Tonk, Harmonica Boogie, Aka Garbage Man, Caldonia, Blow Wind Blow II, Kansas City, Corinne, Corinna.

Dès le début, tout y est, la voix bien posée, légèrement éraillée avec une petite pointe de nasales. Tout le monde est presque accordé, même avec l'harmonica, ce qui ne fait pas de mal. La Fender légèrement saturée comme il se doit, le bottleneck prêt à être dégainé, ça démarre en beauté par Blow Wind Blow, qui pose d'emblée l'ambiance, le groove inimitable, une espèce de puissance tranquille dont plein de speedés du Blues devraient bien s'inspirer, ça ferait du bien aux oreilles. Qui a dit du mal de SRV ? Moi ? Ca a du m'échapper… :-) D'ailleurs, je l'aime bien le Stevie, mais plutôt dans Riviera Paradise ou Tin Pan Alley

Question musiciens, bien que ne disposant d'aucune information précise à ce sujet, il semble tout de même que la formation de Muddy se soit stabilisée à partir de 1972, et donc on ne court pas grand risque à avancer qu'on retrouve Pinetop Perkins au piano, Luther "guitar" Johnson jr. au chant et à la guitare, Willy "Big Eyes" Smith au chant et à la batterie, Calvin "Fuzz" Jones, chant et basse, Jerry Portnoy à l'harmonica et au chant, et enfin "Steady Rollin'" Bob Margolin lui aussi au chant et à la guitare. A noter qu'on le remarque dans "The Last Waltz", dont les Greenwoodiens ont entendu beaucoup parler sur la liste de diffusion il y a quelques mois… Toujours la nonchalance du maître, largement entretenue par la présence de deux excellents guitaristes derrière lui. Muddy peut se permettre de ne pas se fouler du tout, et d'intervenir au compte-gouttes, ce qui le met d'autant plus en valeur. La setlist, elle, est très semblable à celle qu'ils joueront à Montreux deux ans plus tard.

Elle est aussi plus intéressante, puisque ces 16 morceaux sont tous chantés par Muddy, contrairement à la prestation du casino. Là, pas de "mayonnaise", bien que ce soit un Bootleg. On se prend même à regretter que cela ne soit pas plus long, on reste un peu sur sa faim, même s'il est évident à l'oreille que la fatigue se fait sentir dans les 4 derniers morceaux… L'autre nous offrait deux heures de bonne musique, ici, nous avons un peu plus d'une heure de très grand Blues. Bon, j'ai les deux, alors je ne me plaindrai pas, mais si vous les croisez par hasard, n'hésitez pas, optez pour cet enregistrement (plus facile à négocier en trade, puisque simple CD, contrairement au précédent). Les morceaux, donc :

En commun, nous trouvons les incontournables, évidemment Howlin' Wolf, Can't Get No Grindin' (What's The Matter With The Mule), Hoochie Coochie Man, Everything's Gonna Be Alright, Got My Mojo Working. Mais le répertoire de celui-ci, plus complet en matière de classiques (Baby Please Don't Go, Mannish Boy, Blow Wind Blow, Caldonia, Kansas City, Corinne, Corinna), semble plutôt destiné à des aficionados qu'à une intelligentia européenne. A moins que ce ne soit tout bêtement un choix purement commercial.
Ou bien les deux ;)

Je regrette un peu Stormy Monday, Walking Blues et Rolling & Tumbling, même si ces deux derniers manquaient de punch. On n'a tout de même pas trop eu l'occasion d'entendre le grand Muddy les interpréter… Question son, moins léché, plus rough qu'à Montreux, celui-ci correspond plus à ce à quoi Muddy nous a habitués, jamais vraiment juste, mais jamais franchement faux non plus… Comment vous dire ça ? La même équipe qui joue les mêmes morceaux nettement mieux. Ca n'est pas plus fort, pas plus speed, mais il y a dans ce CD de la conviction, on peut presque toucher le plaisir de jouer J .

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Skip James
vaste sujet...


Pour son émission de radio America du 30 septembre, Malika Ben Brahim annonça le thème "Skip James", avec la coopération d'Elmore D et Joseph. Evidemment, le débat fut enclenché (ou plutôt ré-enclenché, voir LGDG n°41 ) sur LGDG, dont voici quelques extraits "éclairants":

@Patrice:
[...] En valeur absolue, Skip James devait se situer plutôt aux alentours d'un Ré, mais le principe est le même : EBEGBE ou DADFAD, ce n'est que la variante mineure du tuning qu'on appelait "vestapol". On l'utilisait couramment dans les années vingt et probablement auparavant, le premier guitariste de blues enregistré ( Sylvester Weaver ) et beaucoup de musiciens folk des années vingt le connaissaient.

Skip James n'utilise cet accord mineur que sur deux ou trois morceaux qui sont ses pièces les plus "inspirées" comme Devil ou Hard Time Killing Floor. Le reste du temps, il est en majeur comme tout le monde ( I'm So Glad, Cypress Grove, Yola et tant d'autres... ).

Je ne connais de l'anecdote concernant Henry Stuckey que ce qui a été rapporté ici, mais la question du tuning me semble bien secondaire, tous les styles de guitare se sont prêtés à des accords non-standards, de Gaspar Sanz à Eduardo Falú en passant par Galilée ( le frère de l'autre ) et des flopées de guitaristes du XVIIème siècle, et il n'y avait pas besoin d'aller en Europe pour découvrir ce genre de procédé.
Le guitaristes de blues ont entendu suffisamment de guitare "espagnole" pour qu'on rencontre des "flang-dangs" un peu partout, Walter "Buddy Boy" Hawkins a enregistré, en 1929, un morceau en open de Sol dans lequel il reproduit la ligne de basses et les arpèges inversés du fandango, Richard "Rabbit" Brown utilisait des rasgueados... je n'irai pas jusqu'à dire que Lonesome Home Blues de Tommy Johnson ( la prise qui crache ) et M&O de Willie Brown commencent comme le premier prélude de Villa-Lobos, mais le procédé est identique ! ;)

Ce qui est plus frappant chez Skip James, c'est le jeu en double octave - facile, quand on est accordé ainsi, mais... fallait y penser ! ;) - qui produit une sonorité très pleine et renforce des degrés "mineurs" normalement absents des accords. Pour le coup, je veux bien qu'il y ait une ressemblance avec la guitare manouche, on y rencontre un effet similaire qui donne à la mélodie une priorité sur l'harmonie... mais ceci est une banalité en ce qui concerne le blues acoustique de cette période. Si je m'étendais là-dessus, il y en aurait pour douze pages ;).

@Romain:
Puisqu'on est sur Skip James, un truc qui me tracasse depuis longtemps : si on compare les premiers enregistrements de James (1931) avec ceux qu'il a réalisés dans les années soixante lors du blues revival, on s'aperçoit que sa voix (bien que toujours très haut perchée) a beaucoup changé. J'ai lu je ne sais plus où qu'il serait passé d'une voix de tête à une voix de poitrine (ou l'inverse je ne me souviens plus). Quelqu'un pourrait m'expliquer ce phénomène qui me rend insomniaque?

@Poill's:
Eh bien très cher, ce n'est en rien un phénomène. Nous possédons toutes et tous ces deux "voix", même si, en fait, nous n'en possédons qu'une.
Je m'explique: les sons que nous produisons avec nos cordes vocales sont toujours les mêmes. Ce qui change, c'est les différentes zones de l'organisme utilisées, et ce en fonction du but recherché. L'exemple extrême étant l'imitateur, dont la voix est inchangée, mais qui utilise différentes caisses de résonance, et surtout des tics de langage, voire des mimiques et jusqu'à des déguisements pour créer "l'ambiance" du personnage recherché. De même, le ventriloque ne "parle" pas avec autre chose que ses cordes vocales. La différence se situe dans le souffle. Un ventriloque se sert uniquement de sa ceinture abdominale pour propulser l'air qui fait vibrer les cordes. Pour le commun des mortels, la voix que tu appelles "de poitrine", aussi appelée "voix de gorge" à tout aussi mauvais escient d'ailleurs, correspond à l'utilisation du thorax ET de l'abdomen pour moduler le flux d'air.
En fait, c'est ce que Bird appelait la "colonne d'air" essentielle pour jouer du sax. C'est la même chose. Elle dépend autant de la capacité toracique du chanteur que de sa maîtrise de son diaphragme grâce à sa ceinture abdominale. C'est la "vraie" voix. La "voix de tête", par contre, si elle utilise bien aussi les cordes vocales, n'utilise pas la même caisse de résonance. Dans ce cas, il s'agit plutôt des sinus (tous les quatre) et de la boîte crânienne. Dans les faits, ça se traduit par une voix moins forte, plus nasillarde, moins juste, mais qui permet de "monter" plus facilement dans les aigus.
Les Bluesmen utilisent en général la "vraie" voix, surtout les Blues Shouters, les mauvais chanteurs n'utilisent que la voix de tête. Les "grands" chanteurs, selon les normes occidentales s'entend, utilisent les deux à la fois, ou plus exactement savent moduler aussi bien l'une que l'autre et passent de l'une à l'autre sans que l'on n'entende la transition (comme on vous le demande dans les cours de chant classique) C'est le cas des chanteurs d'opéra, mais aussi de certaines voix du rock, McCartney, par exemple. Ne pas confondre voix de tête et falsetto (comme Alan Wilson dans "Going Up The Country" ou Jagger dans "Miss You"). Cet exercice périlleux n'est pas vraiment recommandé si vous chantez "à froid". Par contre, je ne sais pas ce qu'il en est pour le chant dans les musiques extrême-orientales, hindoues ou maghrébines qui s'appliquent à des musiques plus modales que tonales.
Enfin, tout est dans le souffle et la caisse de résonance, même chez les adeptes de cette technique tibétaine, je crois, avec laquelle on arrive à chanter un bourdon et une mélodie en même temps.

@Patrice:
[...] [Pour revenir sur le point principal suite au brillant exposé de Poill's,] Skip James chantait à l'origine en voix de poitrine, comme les haute-contres. Dans les année soixante, il était physiquement diminué (je crois même qu'on l'a sorti de l'hosto pour l'inviter à jouer de nouveau) et s'il n'avait rien perdu de sa vélocité instrumentale, il compensait sa déficience vocale en chantant en voix de tête.
[( dixit Marie-Claude Champarou, auteur du célèbre mémoire "Etude expérimentale sur la voix en milieu familial - le mimétisme vocal", Université Paris VI - UER Pitié-Salpétrière 1980 ;)))]

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Bouillon de Bluesiculture:

Période d'essai
une Nouvelle de
Véro Chelius

Signature de Véro Chelius (par Poill's)
Signature de Véro Chelius (par Poill's)

Préface de René Malines

Oui, bien sûr, dès qu'on prend la plume et qu'on veut parler de blues, 3 fois sur 5, paf, le coup de Robert Johnson.

Oui, mais voilà, non seulement Véro Chelius revisite complètement le truc, mais en plus, elle nous le fait vivre de l'intérieur! A la première personne, on est dans la peau du mec, on le vit.

Bon, à un moment, à force de "je suis le meilleur, je le sais", il commence à m'agacer, le gaillard. Mais très vite, on commence à se douter de quelque chose: il y a anguille sous roche, ça sent le souffre, le fourchu est pas loin, on l'entend déjà ricaner.

Et là, nouveau trait de génie - ben oui, quoi - de Véro : le fourchu n'est pas fourchu, c'est.....mais je vous laisse le découvrir. N'empêche, il n'en est que plus diabolique!

C'est à la fois drôle et glaçant ! Brrrrrrrrrrrr....

Bravo Véro, écris-nous en plein des comme ça!

Ah, parlez-moi de génie méconnu(e)!
Ouais, bon, je m'emballe moi.
Mais oui, mais c'est tout à fait ça : elle m'a emballé, moi, cette nouvelle!

René Malines

Lire "Période d'Essai", une Nouvelle de Véro Chelius

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