La Gazette de GREENWOOD
n°44 Tome 2 (Juillet 2002)

Tome 2





Tome 3
  • Ca n'Arrive pas qu'aux Autres !(Une galère bizarre autant qu’étrange)
  • Blues in Meudon:
    • Meudon, côté cour
    • Meudon, côté jardin
  • Boogietown: Elliott Murphy, John Hammond, Fred & the Healers et Alex Schultz, Canned Heat
  • Spring Blues Festival d'Ecaussinnes

  
Tome 1:
  • A tribute to Jimmie Lee Robinson:
    un voyageur Solitaire dans Maxwell Street
  • John Lee Hooker:
    • interview de Tomasz Dziano:
      Tribute to John Lee Hooker
    • Live at Newport
    • au Casino de Montreux
  • Kevin Brown: Mojavé Dust
  • Elmore D. : Basse Moûse Blues
  • Blind Willie Walker: South Carolina Rag
  • The Hoodoomen: Keep on dreaming
  • Awek à l'Eden Rock (Lyon)
  • Les Bloosers à la Pléaide (Tours)
  • La Rubriqu'à Blues: Kenn Lending, Bluedaddies, Henry Johnson, Booglerizers, bloosers





Tom Cat:
Mississippi Heat: la saga

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L’arrivée du Blues en France

date: 30 juin 2002
de: Uncle Lee <stagolee@club-internet.fr>

Paris, 1900, Exposition Universelle, pavillon américain :  sous la baguette de John Philip Sousa, les cuivres du brass band entonnent un air au rythme syncopé, étranger aux oreilles des Français de l’époque.  S’il y avait déjà eu des musiques américaines en Angleterre (les Fisk Jubilee Singers, groupe de negro-spiritual qui se produisit à Liverpool en 1873), ce Cakewalk que joua l’orchestre est sans doute le premier du genre à résonner en France. Le succès fut immédiat.

Que ce soit un orchestre militaire composé de blancs qui ait introduit la première musique syncopée en France peut étonner si on ne connaît pas les incessants échanges musicaux qui existaient à cette époque entre les différentes communautés américaines. Le cakewalk, danse créée par les esclaves des plantations (le meilleur danseur étant récompensé par une part de gâteau…), fut donc repris par les minstrels shows blancs et noirs, puis par les orchestres de marches militaires qui intégrèrent le rythme si particulier des danses « éthiopiennes » (par ce mot, on entendait à l’époque « rythmes africains »). C’est pourquoi les pom-poms girls américaines qui défilent avec une fanfare semblent si gracieuses par rapport à nos majorettes du 14 juillet, au pas éléphantesque...

Mais l’aboutissement du cakewalk fut la naissance du ragtime (premier ragtime publié en 1897), musique noire-américaine écrite et structurée qui devançait et allait tant influencer le blues et le jazz. Le ragtime fut à son tour "rejoué" par les orchestres blancs et arriva donc rapidement en Europe. Le succès fut immédiat, et on vit même des compositeurs français se lancer dans ce style : Claude Debussy (le Petit Nègre qui devait aboutir à Golliwog’s Cake-Walk en 1908), Erik Satie (Le Piccadilly, 1904). Le Ragtime remporta  vite un succès colossal dans les cabarets, et en 1920, on pouvait entendre Mistinguett (chanteuse de music-hall classée dans les  hystériques : "A cause de toi, la Miss, la moitié des autruches d’Australie se promènent le cul à l’air") chanter  Cak-Walk-Irie :

 

CAK - WALK - IRIE Chansonnette
Musique de F. Chaudoir, Paroles de E. Sérard

Dans la France
Chacun danse
En cadence
Et furie
C'est stupide
Insipide,
C'est de la Cak - walk - i - rie.

Des nègr's
C'est la bamboula
Très vieille méthode
Qu'on a su remettre à la mode
Des nègr's c'est la bamboula
Le Cak - Walk n'est autre chos' que cela

 

Oui mais le blues dans tout ça? Et bien, autant il est impossible de dater précisément la naissance du blues aux USA, autant il est difficile de savoir quand il est arrivé en France.  Très probablement, le premier blues interprété en France le fut par un soldat noir-américain débarqué avec l’armée américaine, pendant la première guerre mondiale.

 

Parmi le contingent U.S., il y avait de nombreux orchestres, dont le fameux « 369th Regiment Band », composé exclusivement de noirs-américains et dirigé par James Reese Europe, chef d’orchestre alors très célèbre à Broadway. En 1919, cet orchestre traversa la France en  mettant le feu (c’est une image) partout où il passait, en interprétant différents airs " américains ", notamment des ragtimes de John Philip Sousa mais aussi le Memphis Blues de W.C. Handy! Tout particulièrement sur ce titre, les spectateurs, civils et militaires confondus, et même les prisonniers allemands, ne pouvaient s’empêcher de taper du pied et de s’agiter en rythme. Et pour la première fois, c’était sur un rythme syncopé. Le sergent Noble Sissle (pianiste qui tenait le rôle de percussionniste dans l’orchestre de Jim Europe) raconte même que, dans un petit village, alors qu’ils interprétaient The Army Blues (qui était en fait un ragtime), il vit une dame âgée de 60 ans se mettre à effectuer une danse qui ressemblait à Walking The Dog. Nous imaginons assez bien l’ambiance de fête qui devait régner !

Ces anecdotes sont le témoignage de l’entrée fracassante de la musique noire-américaine en France, même si l’effet en resta limité aux témoins directs de ces concerts.

Outre ces événements officiels, on peut facilement imaginer que, dans d’autres circonstances, des accords de blues ont résonné sur des guitares, des banjos ou des harmonicas, joués par des noirs-américains soudain loin de chez eux…

Henry Stuckey

Né le 11 avril 1897 à Bentonia (Mississippi), Henry Stuckey a commencé la guitare en autodidacte à l'âge de 8 ans. A 11 ans, il jouait déjà dans des Juke Houses. On le voit jouer à Bentonia jusqu'en 1917, année où il sert dans l'US Army et part en France comme aide dans un hôpital militaire.
De retour aux Etats-Unis, il reprend son activité de musicien et rencontre un jeune guitariste du nom de Skip James avec lequel il forme un duo et dont il devient le mentor. Bien que le débat fasse rage (voir LGDG n°41), il est probable que Skip James, tout comme Jack Owens, doive énormément à Henry Stuckey pour le Bentonia Style qui fit sa popularité lors de sa redécouverte dans les années 60. Ce serait en France, durant la première guerre mondiale, qu'en jouant de la guitare avec deux soldats français (un antillais et un gitan), Stuckey aurait appris le jeu en accord ouvert de Mi mineur qui caractérise ce style. Johnny Temple affirme que Stuckey était un excellent guitariste et excellait également dans d'autre styles de "old pre blues".
Stuckey devint propriétaire d'un barrelhouse vers 1930. Dans les années 50, il joue à Bentonia, Omaha (NE), puis on le voit autour de Yazoo City dans les années 60.
Il meurt d'un cancer à Jackson (MS) le 9 mars 1966, dans une misérable cabane ou Gayle Dean Wardlow l'a interviewé peu de temps avant cette date.
Henry Stuckey fait partie de ses bluesmen de légende dont nous n'avons aucun enregistrement…
On sait ainsi qu’en 1917, Henry Stuckey, alors âgé de 18 ans, fut mobilisé en France en tant qu’infirmier dans un hôpital de campagne. C’est là qu’il apprit, de deux soldats blessés, un jeu de guitare très particulier. Stuckey, interviewé par Gayle Dean Wardlow, a affirmé que ces deux guitaristes étaient deux français, un antillais et un gitan, qui jouaient en accord de Mi ouvert… Il adapta les paroles de quelques morceaux et, de retour chez lui cela donna, par exemple ,les titres  Hard Time Killing Floor et Devil Got My Woman attribués à Skip James! Henry Stuckey a probablement exagéré l’histoire (les bluesmen de l’époque avaient une certaine tendance à enjoliver les choses), mais il y a certainement une part de vérité dans ce qu’il a raconté. Loin de vouloir dire que le Bentonia Style est né en France, cela confirme simplement que le blues a toujours su puiser son inspiration aux diverses sources qui se présentaient. Ici, Stuckey s’est probablement inspiré d’un style particulier, tout comme plus tard BB Kingparlera de Django Reinhardt comme influence majeure.

En tout cas, cette histoire nous prouve qu’on peut sérieusement avancer qu’en 1917, des bluesmen étaient présents en France et que, même si nous n’en avons évidemment aucune preuve enregistrée, le Blues s’est fait entendre sur le vieux continent.

Mais aussi fort  qu’ait été l’impact de cette musique sur les auditeurs directs de ces big bands ou bluesmen isolés, ce n’était que les prémices de la longue histoire de l’arrivée du blues en France…

 

C’est cette histoire que nous propose Philippe Sauret avec " Et la France découvrit le blues : 1917 à 1962 "

Non, le blues n’a pas attendu Steve Ray Vaughan ou le British Blues Boom des années 60 pour apparaître en France, et c’est ce qu’a étudié Philippe Sauret en 1997, pour son mémoire de Maîtrise en Histoire.

Récit passionnant et détaillé, mettant à mal bien des idées reçues et nous apprenant des choses étonnantes. (Saviez-vous que le 32-22 Blues de Robert Johnson, enregistré en 1936, avait été chroniqué dans un journal français en 1937 ?!). L’histoire du blues en France est intimement liée à celle du jazz, et il a fallu tout un travail de recherche historique pour extraire ce qui nous intéresse ici:

Et la France découvrit le blues : 1917 à 1962

La Gazette de Greenwood remercie Philippe Sauret (aka Zyde Phil) pour ce travail, et pour sa gentillesse de nous autoriser à la publier afin de partager cette tranche d’histoire qui, si elle n’a pas de raison de modifier notre intérêt pour le Blues, nous permet d’en savoir un peu plus sur cette musique et sur l’attrait qu’elle a toujours suscité, même loin du Mississippi.

Uncle Lee

 

Sources de la préface :



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Et la France découvrit le blues :
1917 à 1962

Introduction

date:
de: Philippe Sauret <psauret@aol.com>

Depuis le milieu des années 80, surtout grâce aux enregistrements du guitariste Steve Ray Vaughan, le blues suscite un nouvel intérêt dans notre pays. Il est donc utile de revenir sur le rôle particulier qu’a joué la France dans la découverte de cette musique de 1917 à 1962. Tant pour le jazz que pour le blues, les spécialistes français ont souvent été des précurseurs dans le domaine des recherches. Ce rôle est bien entendu étroitement lié à la découverte de ces musiques dans notre pays. Or, si pour le jazz nombre d’études ont été faites sur cette implantation, tel n’est pas le cas pour le blues. C’est assurément lié à la définition même donnée au mot blues par les amateurs de jazz. Dans l’esprit de beaucoup, le blues étant la source du jazz, l’étude du jazz en France comprend aussi celle du blues. Pourtant, si on ne peut nier que le blues soit à l’origine du jazz, il a ensuite continué une évolution parallèle à celui-ci, fait généralement passé inaperçu de nombre d’amateurs durant la période qui nous intéresse. Cette étude répond donc à une absence de recherches sur l’histoire du blues en France.

Le blues est vraisemblablement né à la fin du XIXème siècle dans le Sud des Etats-Unis, au sein de la communauté afro-américaine. C’est d’abord une structure musicale : une partie musicale et chantée de douze mesures, de schéma AAB qui utilise la gamme pentatonique. Il se caractérise aussi par l’utilisation des blue notes, altérations de la gamme des troisièmes et septièmes degrés, qui donnent cette impression de tristesse. Mais au delà de cette définition technique, le blues est surtout un sentiment, associé souvent faussement à la déprime et au cafard. Ce sentiment s’exprime également dans l’interprétation que fait passer le musicien dans sa musique (feeling). De ce fait, le blues favorise beaucoup l’improvisation, ce qui peut modifier sa structure. Ainsi, suivant l’humeur du musicien, on peut aussi trouver des blues en 8, 9 ou 11 mesures. En outre, le blues a également un rôle social : le bluesman raconte des histoires à son public qui est invité à participer et qui, en retour, pousse le musicien au meilleur de lui même. A ce moment, la musique a aussi un rôle cathartique, autant pour celui qui la pratique que pour ceux qui l’écoutent.

C’est ce blues, tel que nous venons de le définir, dont nous allons étudier l’arrivée en France, en essayant de répondre à ces questions : par quels moyens, économiques, techniques et culturels, le blues s’est-il implanté dans notre pays ? Quels regards les Français ont-ils porté sur cette musique ? Comment se sont formés les premiers spécialistes de blues en France, puis un public spécifique pour cette musique ?

Pour répondre à ces questions les sources utilisées ont été diverses. Les sources écrites d’abord, avec l’étude des livres parus sur le jazz durant notre période, ainsi que celle des journaux spécialisés. Les informations recueillies sont assez maigres jusqu’à la fin des années 40, période à partir de laquelle sont faites les premières recherches sérieuses sur le blues.

Dans le domaine du disque les informations sont plus importantes mais elles ont nécessité un travail spécifique : l’écoute des enregistrements et la prise de renseignements sur les pochettes des microsillons ; l’étude des catalogues des maisons de disques et l’utilisation d’ouvrages spécialisés destinés à reconstituer les réseaux de distribution des disques.

En ce qui concerne les émissions radiophoniques et télévisées, nous avons consulté les fiches de données de l’ I.N.A. Le nombre de celles-ci est relativement faible, mais très représentatif puisqu’il augmente avec intérêt que porte le grand public au blues.

Pour la filmographie nous avons utilisé le livre de Jean Roland HIPPENMEYER, Jazz sur films, qui mentionne des bluesmen et des jazzmen jouant des blues. Paradoxalement, parce que ces films ont été peu nombreux, ils ont en général été très remarqués et ils ont constitué des événements exceptionnels pour les amateurs de musique afro-américaine.

Enfin, nous avons pu rencontrer des personnes, Jacques Demêtre et Kurt Mohr, qui ont joué un rôle majeur dans la découverte du blues en France et qui nous ont fourni de précieux renseignements. Leurs interviews figurent en annexe.

De toutes ces sources, nous avons pu distinguer trois grandes périodes. La première période va de 1917 à 1939. Elle commence avec l’arrivée des troupes américaines en France, et avec elles celle des premiers orchestres de jazz et des premières tournées de musiciens. C’est ensuite l’importation des premiers disques, l’organisation des premières associations d’amateurs de jazz et la création des premières revues spécialisées. A ce moment il n’y a pas de différentiation entre le jazz et le blues et les amateurs le découvrent par l’intermédiaire de Louis Armstrong, de Duke Ellington et de Count Basie, mais aussi grâce à Bessie Smith et aux pianistes de boogie woogie.

La deuxième période de notre étude s’étend de 1939 à 1958. Le jazz survit pendant l’occupation allemande et renaît avec le retour des troupes américaines dans notre pays en 1944. Alors qu’il n’était l’affaire que de quelques spécialistes, il devient populaire et accessible au grand public. L’importation de disques est plus importante, à la fois liée à la naissance de nouveaux labels et aux progrès techniques. C’est aussi l’heure des premières recherches sur le blues, associées à l’arrivée des premiers disques issus des race catalogues en France, et des premières tournées de représentants de cette musique.

Enfin, la dernière période va de 1958 à 1962. Les recherches sur le blues s’accélèrent avec des études faites aux Etats-Unis. Ces études sont à mettre en relation avec deux courants musicaux qui naissent outre atlantique : le rock qui donne naissance en France au mouvement yé-yé, et le folk. Cela aboutit naturellement à une reconnaissance du blues en France, marqués par l’organisation du premier festival de blues en 1962 : l’American Folk Blues Festival.

Lire la Suite:

Et la France découvrit le blues : 1917 à 1962

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Cyril Lefebvre :
"Musique française et américaine de la même époque et d'il y a longtemps"

date: 7 juillet 2002
de: Pierrot "Mississippi" Mercier <mississippi@wanadoo.fr>

CEZAME CEZ 1023

L'association des noms de Claude Debussy, Erick Satie et Skip James sur un même disque semble improbable. C'est pourtant le pari réussi par Cyril Lefebvre avec cet album enregistré en 1976.

Comme le dit très explicitement le titre, les morceaux interprétés ici par un des plus talentueux guitaristes français, proviennent soit du répertoire traditionnel américain, soit du répertoire français, populaire ou classique du début du siècle. Cyril Lefebvre nous invite ici à une promenade dans le paysage musical de l'époque.

Si le Debussy du Petit nègre est clairement inspiré par des thèmes traditionnels américains, si Golliwogg's Cakewalk en est l'héritier, ce n'est pas pour autant qu'il faille systématiquement rechercher une parenté entre les différentes pièces. A Frankie and Johnnie ou Cumberland Blues succède la Gnossienne No 1 de Satie interprétée à la douze cordes (11 exactement, par suite d'un accident, nous apprend le livret plein d'humour). Une Marche des Petits Pierrots (;-) se transforme en un Candyman, et l'ombre de Skip James (Devil Got My Woman) se promène dans les Jardins de l'Alhambra.

En songster qui composerait son répertoire par delà les modes et les frontières, en le complétant de ses propres compositions (ou ce qu'il appelle modestement ses arrangements, tel le Old Time Religion qui conclut l'album), Cyril Lefebvre nous démontre, de façon éclatante, combien les musiques sont proches et s'enrichissent quand on les confronte.

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